Togo : Amnesty International dénonce une répression sanglante et appelle à une enquête indépendante
Trois jours de manifestations. Sept morts. Des dizaines de blessés. Plus de 60 arrestations. Et un silence lourd de la part des autorités. Au Togo, les événements des 26, 27 et 28 juin dernier marqueront durablement les esprits. Et pour Amnesty International, ils ne peuvent rester impunis.

Dans un communiqué publié ce samedi 5 juillet, l’organisation internationale de défense des droits humains tire la sonnette d’alarme et dénonce une répression violente, systémique et disproportionnée, menée contre des citoyens désarmés, descendus dans les rues pour réclamer la démission du président du Conseil des ministres, Faure Essozimna Gnassingbé.
Selon les informations recueillies par l’ONG, des homicides illégaux, des détentions arbitraires, des actes de torture ainsi que des enlèvements ciblés ont été commis, en marge ou à la suite des manifestations. Face à cette situation, Amnesty appelle à l’ouverture immédiate d’une enquête indépendante, impartiale et transparente, conduite par des instances crédibles, nationales ou internationales.
Des témoignages accablants : « Ils tiraient sans sommation »
Dans son rapport préliminaire, Amnesty affirme avoir interrogé plusieurs témoins et victimes directes de la répression. Les récits convergent : tirs à balles réelles, passages à tabac, interpellations arbitraires dans les domiciles, menaces, et usage de la force sans respect des principes d’absolue nécessité.
« Nous avons vu les militaires tirer sans sommation. Un garçon qui filmait avec son téléphone a été frappé, traîné jusqu’à une voiture, et emmené. Nous ne savons toujours pas où il est », confie un témoin ayant requis l’anonymat, rencontré dans la périphérie nord de Lomé.
Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux — bien que difficilement vérifiables, en raison des restrictions numériques imposées dans le pays — montrent des scènes de panique, de dispersion musclée, mais aussi des individus ensanglantés, apparemment abattus à bout portant.
Amnesty estime qu’au moins sept personnes ont été tuées, dont deux ressortissants béninois, retrouvés noyés dans des circonstances non élucidées. L’ONG souligne également la disparition de plusieurs jeunes activistes, introuvables depuis les arrestations massives du 28 juin.
Une liberté d’expression bâillonnée, un droit de manifester inexistant
Au Togo, la rue n’a jamais été un espace de revendication facile. Mais ces dernières années, le droit de manifester a quasiment disparu, étouffé par des interdictions systématiques, des arrestations préventives et une surveillance permanente des meneurs d’opinion.
L’appel à manifester fin juin a émergé sur les réseaux sociaux, dans un contexte tendu depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime parlementaire, qui confère au président du Conseil des ministres — en l’occurrence Faure Gnassingbé — les principaux pouvoirs exécutifs. Un glissement institutionnel qualifié par certains d’habillage constitutionnel du pouvoir personnel, et par d’autres d’usurpation démocratique, le tout sans consultation directe du peuple.
Amnesty International rappelle que les autorités togolaises ont l’obligation, au regard du droit international, de garantir la liberté d’expression et de réunion pacifique. « Le recours excessif et inutile à la force est non seulement une violation des droits humains, mais un signe inquiétant de radicalisation autoritaire », affirme le communiqué de l’organisation.
Un climat de peur, d’enlèvements et de silence imposé
Dans un pays où les contre-pouvoirs sont affaiblis, les ONG, partis d’opposition, médias indépendants et organisations de la société civile opèrent dans un climat de peur et de répression permanente. Plusieurs journalistes ont été arrêtés ces derniers mois. Des bureaux de médias locaux ont été fermés pour « trouble à l’ordre public ». Des opposants sont détenus sans jugement. Certains parlent même de centres de détention secrets.
« Nous sommes dans un régime où la simple idée de manifester pacifiquement est assimilée à un crime d’État. Toute voix discordante est automatiquement considérée comme ennemie de la nation », déclare un membre du Front citoyen pour la démocratie, aujourd’hui en exil.
Les réseaux sociaux — derniers bastions de la parole libre — sont régulièrement restreints. Les dernières manifestations ont d’ailleurs été accompagnées de perturbations numériques importantes, dénoncées par des acteurs comme Internet Society Togo et la Ligue des Consommateurs, qui y voient une stratégie de censure numérique destinée à paralyser les mobilisations et à isoler le pays de l’opinion internationale.
Des précédents déjà condamnés par la justice régionale
Ce n’est pas la première fois que la répression togolaise fait l’objet de dénonciations internationales. En 2017, lors de grandes mobilisations populaires contre la réforme constitutionnelle, l’accès à Internet avait été totalement coupé pendant plusieurs jours. En 2020, la Cour de Justice de la CEDEAO avait jugé cette coupure illégale, considérant qu’elle violait la liberté d’expression et la participation politique des citoyens.
La même année, plusieurs cas de torture, de détention arbitraire et d’enlèvements avaient été documentés par des organisations comme Human Rights Watch, Reporters Sans Frontières ou encore la Fédération internationale des droits humains (FIDH).
Aujourd’hui, Amnesty craint une nouvelle escalade : « Le pouvoir togolais semble déterminé à écraser toute forme de dissidence, quitte à sacrifier les droits humains sur l’autel de sa survie politique. »
Appel à la communauté internationale : « Le silence n’est plus une option »
Dans son communiqué, Amnesty International interpelle directement l’Union africaine, la CEDEAO, l’Union européenne et les Nations Unies, les appelant à rompre le silence et à exiger des comptes.
« Les partenaires internationaux du Togo ne peuvent continuer à fermer les yeux. Il en va de la crédibilité même des engagements africains et mondiaux en faveur des droits humains. »
Des appels similaires ont été lancés par la diaspora togolaise, mobilisée depuis Paris, Bruxelles, Montréal ou Washington, exigeant la libération des personnes arrêtées, la transparence sur les personnes portées disparues, et l’établissement d’un mécanisme d’enquête indépendant, adossé à une mission d’observation internationale.
Une question de justice, mais aussi de futur démocratique
Au-delà des événements tragiques de juin, le cas du Togo illustre une réalité plus large en Afrique de l’Ouest : celle d’un recul démocratique préoccupant, nourri par des transitions prolongées ailleurs, des régimes verrouillés ici, et une impunité qui gangrène les institutions.
Le peuple togolais, silencieux mais pas résigné, observe, s’organise, espère. Certains refusent de céder à la peur. D’autres se battent depuis l’exil ou la clandestinité. Mais tous attendent une chose : que la justice ne soit plus un mirage. Et qu’enfin, le droit de parler, de protester, de rêver à un autre Togo, redevienne possible.
📌 En attendant, Amnesty International poursuit son travail de documentation. Et appelle toute personne témoin ou victime des événements à faire parvenir anonymement son témoignage via ses plateformes sécurisées.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon