Mali : La nouvelle Charte de la Transition consacre un virage politique décisif vers le modèle AES
Dans une atmosphère à la fois solennelle et révélatrice des mutations en cours, le Conseil national de transition (CNT) du Mali a adopté, ce jeudi 3 juillet 2025, à l’unanimité de ses 131 membres présents, la révision de la Charte de la Transition, entérinant ainsi une refonte en profondeur du cadre institutionnel du pays. Cette décision, hautement symbolique et politiquement stratégique, marque une nouvelle ère pour Bamako, en alignement manifeste avec les modèles transitoires déjà consolidés au Burkina Faso et au Niger, les deux partenaires de la Confédération AES (Alliance des États du Sahel).

Ce vote historique, sans abstention ni opposition — phénomène devenu presque routinier dans la vie parlementaire de la Transition — conforte le pouvoir en place tout en reconfigurant la trajectoire démocratique du Mali autour d’un axe central : la primauté de la stabilité sécuritaire sur le calendrier électoral classique. Un changement de paradigme assumé, qui redéfinit les règles du jeu politique, redessine les contours du pouvoir, et suscite autant de soutien que d’inquiétudes.
Une architecture transitoire prolongée, adossée à la pacification
La première disposition phare de cette révision est sans équivoque : la transition est désormais fixée à une durée de cinq ans, renouvelable autant de fois que nécessaire, tant que le territoire national ne sera pas entièrement pacifié. Le principe de durée déterminée, qui avait longtemps servi de boussole dans les précédents schémas de transition en Afrique de l’Ouest, laisse ici place à une logique de temporalité ouverte, indexée sur l’avancée du processus sécuritaire et de « refondation nationale ».
Pour le général Assimi Goïta et ses soutiens, cette disposition n’est pas un reniement des engagements démocratiques, mais une réponse pragmatique aux défis existentiels auxquels le pays est confronté. « On ne bâtit pas une démocratie sur des ruines, mais sur des fondations solides », aurait confié un proche du président de la Transition en marge du vote.
Le discours officiel, repris par plusieurs figures du CNT, insiste sur la nécessité d’un « assainissement institutionnel préalable » avant toute ouverture électorale. Ainsi, le modèle AES revendique une transition durable et évolutive, nourrie par un agenda souverain, affranchi des injonctions internationales.
Une porte ouverte à la candidature d’Assimi Goïta
Autre évolution majeure : la levée explicite de l’inéligibilité des acteurs de la Transition. Désormais, le président de la Transition, les membres du gouvernement ainsi que ceux du CNT sont autorisés à se présenter à la présidence de la République et aux élections générales à venir. En clair, Assimi Goïta, jusque-là silencieux sur ses ambitions électorales, est désormais juridiquement éligible à sa propre succession.
Ce changement, qui rompt avec les clauses de neutralité généralement exigées dans les transitions républicaines, ouvre la voie à une pérennisation de l’ordre politique en place. Il suscite une vague de spéculations quant à la future candidature du général-président, dont le profil, jusque-là austère, commence à se redessiner dans la perspective d’une légitimité populaire future.
Certains analystes évoquent déjà un scénario à la « Paul Kagame » : une transition étirée, légitimée par les résultats en matière de sécurité et de gouvernance, et consolidée par une élection organisée sous contrôle institutionnel total. D’autres y voient un glissement préoccupant vers un autoritarisme constitutionnalisé.
La disparition politique du M5-RFP et des partis : la rupture fondatrice
L’un des points les plus polémiques de la Charte amendée réside dans la suppression explicite du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) et des partis politiques du dispositif institutionnel de la Transition. Autrefois partenaire révolutionnaire, le M5-RFP — né en 2020 des mobilisations populaires contre Ibrahim Boubacar Keïta — est désormais relégué aux marges, écarté de la sphère décisionnelle.
Cette éviction marque une consolidation verticale du pouvoir autour des organes actuels de la Transition, au détriment des mécanismes de médiation politique. L’ensemble des partis, quelles que soient leur taille ou leur histoire, se trouvent exclus du jeu transitoire, dans un pays où le multipartisme avait pourtant survécu aux épreuves.
À travers cette décision, le Mali adopte de manière explicite un modèle AES de gouvernance de rupture, où les forces politiques traditionnelles sont considérées comme faiblement représentatives, voire nuisibles à la refondation. Le primat est donné aux forces de sécurité, aux technocrates loyalistes, et à la légitimation par l’action militaire et sociale.
Charte et Constitution : une hiérarchie désormais clarifiée
La nouvelle Charte vient également préciser la hiérarchie des normes en intégrant formellement la Constitution du 22 juillet 2023 comme référence suprême. En cas de conflit d’interprétation, la Constitution prévaut désormais sur la Charte, ce qui offre une assise juridique plus solide à l’architecture institutionnelle.
Cette disposition est perçue comme une tentative d’alignement des cadres normatifs, dans un souci de cohérence, mais aussi comme un moyen de verrouiller les réformes déjà engagées dans le sens d’un exécutif renforcé. Elle entérine le rôle central du chef de l’État dans la conduite de la transition, en lui conférant un levier constitutionnel supplémentaire.
Vers une centralisation AES du pouvoir régional
L’alignement du Mali sur le modèle du Burkina Faso et du Niger ne relève plus de la simple coïncidence. Avec cette révision, Bamako se conforme de manière presque méthodique aux transformations déjà opérées à Ouagadougou et Niamey : transition prolongée, restriction du pluralisme, recentrage sécuritaire, promotion des chefs d’État transitoires à un statut durable. Ce triangle politique et militaire, désormais structuré au sein de la Confédération AES, s’affirme comme un bloc idéologique cohérent, en rupture avec la doctrine de la CEDEAO.
Dans cette logique, la révision de la Charte peut être lue comme un acte fondateur d’un nouveau récit souverainiste ouest-africain, centré sur l’efficacité, la stabilité et la reconquête territoriale, au détriment des mécanismes électoraux jugés « importés » ou « dévoyés ».
Une fracture durable avec les partenaires internationaux ?
Le choix du Mali pourrait cependant aggraver les tensions déjà vives avec plusieurs partenaires occidentaux et institutions régionales. La CEDEAO, déjà marginalisée par la sortie du pays de ses dispositifs, pourrait réagir avec une nouvelle salve de critiques, voire de mesures restrictives. Les chancelleries occidentales, tout en gardant un silence stratégique, observent avec une vigilance accrue cette consolidation d’un pouvoir transitoire devenu quasi permanent.
Mais à Bamako, la riposte est prête : « Nous ne cherchons plus à plaire, mais à survivre », affirme un membre influent du CNT. Une formule qui résume le climat de défiance croissante à l’égard des pressions extérieures et la volonté de réécrire les règles de la légitimité en Afrique sahélienne.
Conclusion : un tournant historique, à l’avenir incertain
Avec cette révision de la Charte de la Transition, le Mali s’inscrit dans une transformation politique majeure qui interroge autant qu’elle fascine. En consolidant une gouvernance militaire adossée à une architecture constitutionnelle, en écartant les partis et en ouvrant la voie à une candidature présidentielle du général Goïta, le pays assume pleinement son virage vers un modèle alternatif.
Mais cette nouvelle configuration politique ne sera viable que si elle produit des résultats tangibles : amélioration de la sécurité, relèvement économique, apaisement social. À défaut, elle pourrait se heurter, tôt ou tard, aux limites du consentement populaire.
Le pari est risqué. Mais pour les tenants du modèle AES, le Mali n’a plus le luxe de l’attentisme. Il lui faut désormais choisir son destin — même s’il faut pour cela réécrire les règles du jeu.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon