Bruxelles, carrefour stratégique des Suds : Le Burkina Faso porte la voix de l’AES à la 119e session du Conseil des ministres de l’OEACP
À l’heure où le monde se reconfigure autour de nouveaux pôles de solidarité et d’influence, l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP) a tenu, à Bruxelles, les 23 et 24 mai 2025, sa 119e session du Conseil des ministres. Une session marquée par une forte charge symbolique, des décisions structurelles importantes et un discours particulièrement attendu : celui du Burkina Faso, porte-voix de la Confédération des États du Sahel (AES).

Le rendez-vous était discret, mais crucial. Dans les salons feutrés du bâtiment abritant le Secrétariat général de l’OEACP, situé au cœur de la capitale européenne, les représentants de 79 pays membres se sont retrouvés pour une session de travail dense, portée par un agenda aussi exigeant que stratégique. Le Burkina Faso, représenté par l’ambassadeur Léopold Tonguenoma BONKOUNGOU, y tenait un rôle éminemment politique : porter la voix collective des pays membres de l’AES – Burkina Faso, Mali et Niger – dans une enceinte où se discutent les nouveaux équilibres du multilatéralisme Sud-Sud.
Le Burkina Faso, au nom d’une Confédération émergente
C’est avec gravité, mais assurance, que l’ambassadeur BONKOUNGOU, représentant le ministre burkinabè des Affaires étrangères Karamoko Jean-Marie TRAORÉ, a pris la parole au nom de l’AES, cette jeune confédération sahélienne en quête de reconnaissance et de légitimité sur la scène internationale.
« Notre espace traverse des mutations profondes. À la croisée des défis sécuritaires, politiques et sociaux, nos peuples font preuve de résilience et de souveraineté renouvelée. »
Le diplomate burkinabè a ainsi brossé un tableau précis, lucide et déterminé de la situation actuelle dans l’espace confédéral : l’évolution des transitions politiques, les efforts de réorganisation des institutions, la lutte contre le terrorisme, mais aussi la quête d’un modèle alternatif de développement axé sur l’ancrage endogène et la coopération multilatérale équitable.
Son intervention a reçu une attention soutenue, notamment de la part des délégations africaines et caribéennes, certaines ayant salué en coulisses « la clarté et la dignité d’un discours non-aligné, mais tourné vers l’avenir. »
Un Conseil ministériel entre rationalisation et refondation
Conformément à son ordre du jour, le Conseil des ministres de l’OEACP a abordé des points névralgiques qui touchent à l’avenir même de l’organisation. Au centre des débats : l’adaptation institutionnelle de l’OEACP, confrontée à de sérieuses contraintes financières et à la nécessité de se réformer en profondeur.
Ainsi, le Conseil a approuvé une restructuration du Secrétariat général, avec une réduction significative des effectifs, visant à respecter les exigences du nouvel Accord de Georgetown révisé – texte fondateur de l’OEACP dans sa version actualisée – tout en assurant une meilleure efficience administrative.
Parallèlement, le statut du personnel a été révisé et adopté, prenant en compte les recommandations issues des différentes instances consultatives. L’objectif est clair : professionnaliser davantage l’organe exécutif, restaurer la viabilité financière de l’institution, et accroître la transparence dans la gestion des ressources humaines.
L’Accord de Samoa : mise en œuvre, ratification et enjeux géostratégiques
Un autre point-clé de la session a été l’état d’avancement de la ratification de l’Accord de Samoa, signé en novembre 2023. Ce texte, successeur de l’Accord de Cotonou, redéfinit les relations entre les pays de l’OEACP et l’Union européenne dans un contexte géopolitique bouleversé. Il aborde les questions de migration, sécurité, développement durable, commerce équitable et climat, tout en instaurant des piliers régionaux différenciés pour l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique.
Le Burkina Faso, qui figure parmi les premiers signataires de cet Accord, a renouvelé son engagement à en respecter les dispositions, tout en plaidant pour une interprétation flexible et souverainiste des principes de gouvernance, afin de préserver les choix autonomes des États en transition.
Le Conseil a salué les avancées enregistrées, tout en appelant les pays membres retardataires à accélérer les procédures de ratification, faute de quoi certaines clauses financières et juridiques pourraient ne pas entrer pleinement en vigueur.
Célébration des 50 ans de l’OEACP : un jubilé pour réinventer la solidarité Sud-Sud
Moment de respiration dans une session par ailleurs très technique, le lancement officiel des festivités du 50e anniversaire de l’OEACP a été marqué par des discours empreints de mémoire, de fierté et de lucidité.
Créée en 1975 pour donner corps à une coopération solidaire entre anciennes colonies d’Europe confrontées à l’indifférence croissante des grandes puissances, l’OEACP fête cette année un demi-siècle de lutte contre l’invisibilité géopolitique et pour l’équité globale.
Le calendrier des célébrations prévoit, tout au long de l’année 2025, des conférences, expositions, concours de réflexion, et cérémonies de reconnaissance dans les trois grandes zones de l’organisation. L’objectif : redonner du souffle à une institution parfois perçue comme vieillissante, mais dont les valeurs demeurent vitales dans un monde fragmenté.
Un sommet décisif en Guinée équatoriale à la fin 2025
Autre annonce majeure : l’acceptation officielle de l’offre de la Guinée équatoriale pour accueillir le 11e Sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’OEACP, prévu pour la fin de l’année. Ce sommet, qui rassemblera les plus hautes autorités des 79 pays membres, devrait être l’occasion de valider une nouvelle feuille de route stratégique, fondée sur la souveraineté économique, la diplomatie climatique, la transformation numérique et l’industrialisation locale.
Pour plusieurs diplomates présents à Bruxelles, ce sommet pourrait marquer un tournant historique, à condition que les dynamiques régionales, comme celle de l’AES, soient intégrées pleinement au processus décisionnel global.
Conclusion : une tribune pour l’émancipation collective
Au sortir de cette 119e session, une évidence s’impose : l’OEACP n’a jamais été aussi nécessaire. À l’heure où le multilatéralisme est mis à rude épreuve, où les logiques de blocs se radicalisent, et où les États du Sud cherchent à redéfinir leur place dans la gouvernance mondiale, l’organisation pourrait redevenir un levier d’équilibre, de voix commune et de puissance concertée.
Le Burkina Faso, par la voix de l’ambassadeur BONKOUNGOU, a fait entendre avec clarté les aspirations d’un continent en éveil et d’une confédération en marche vers sa pleine souveraineté.
Reste désormais à savoir si cette voix portera jusqu’aux centres de décision mondiaux… et si l’OEACP parviendra à convertir ses résolutions en leviers tangibles pour ses peuples.
Par Saidicus Leberger
Radio Tankonnon