Sahel : Le pari du dialogue – Bamako, épicentre d’un renouveau diplomatique entre l’AES et la CEDEAO
Bamako, 22 mai 2025 – Ce jour-là, Bamako n’était pas simplement la capitale du Mali : elle devint, le temps d’un face-à-face historique, le cœur battant d’un espoir diplomatique pour tout le Sahel. Dans les salons feutrés d’un palais républicain sous haute sécurité, les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Burkina Faso et du Niger, réunis sous la bannière de la Confédération des États du Sahel (AES), ont engagé des pourparlers directs avec le président de la Commission de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Dr Omar Alieu Touray.

Ce n’était ni une simple formalité, ni un geste protocolaire sans lendemain. C’était une tentative sérieuse, presque solennelle, de restaurer un fil de dialogue rompu, de rétablir des ponts que la méfiance, les sanctions et les logiques de rupture avaient fragilisés. Et peut-être, de réécrire les termes mêmes de la coopération régionale.
Une réunion à haute intensité symbolique
C’est dans une atmosphère décrite comme « constructive » par les deux camps que cette rencontre s’est tenue, quelques mois à peine après le retrait formel des trois pays sahéliens de la CEDEAO. Pour beaucoup, ce retrait marquait un point de non-retour. Pourtant, l’histoire retiendra que ce 22 mai fut le théâtre d’un sursaut, d’un retour à la table des discussions que d’aucuns croyaient définitivement désertée.
Ce que cette réunion a produit dépasse le simple relevé de conclusions signé en fin de séance. Elle a mis en lumière la volonté partagée d’éviter la dérive d’un isolement contre-productif, et de préserver – coûte que coûte – les acquis fondamentaux de l’intégration régionale. Première victoire : la garantie du maintien de la libre circulation des personnes et des biens entre les pays membres de la CEDEAO et ceux de l’AES, en attendant la formalisation de nouveaux cadres de coopération.
Il ne s’agissait donc pas d’un simple échange de bons procédés, mais bien d’un acte fondateur, appelant à une refondation des relations régionales. Un acte d’intelligence politique dans un environnement saturé de tensions.
Le poids du sang : un contexte sécuritaire dramatique
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et ils glacent. Selon le rapport 2024 de l’Index mondial du terrorisme, le Burkina Faso est désormais le pays le plus touché au monde, avec 1 907 décès et 258 attaques terroristes recensées. Le Niger enregistre une hausse dramatique de 94 % des morts liés au terrorisme, totalisant 930 victimes. Le Mali, pour sa part, grimpe à la troisième place du classement mondial, avec plus de 1 900 morts. En une année, ces trois nations ont cumulé à elles seules plus de 4 700 décès dus aux violences terroristes.
Ces statistiques, au-delà de leur cruauté, révèlent une vérité incontournable : le Sahel central est aujourd’hui l’épicentre mondial du terrorisme. La menace, polymorphe, s’étend des frontières poreuses aux cœurs des capitales. Elle ronge les économies, fracture les sociétés et détruit les espoirs.
C’est dans ce climat d’urgence absolue que les échanges de Bamako prennent tout leur sens. Le dialogue n’est plus un luxe, ni un choix stratégique. Il est devenu une nécessité humanitaire. Une question de survie pour des millions d’êtres humains pris en étau entre la violence aveugle des groupes armés et l’érosion des systèmes institutionnels.
Un potentiel économique réel, mais inégalement réparti
Si la sécurité fut au cœur des discussions, l’économie ne fut pas en reste. Car au-delà des fusils, c’est aussi le ventre vide qui menace la paix. En 2024, le Mali affichait un produit intérieur brut de 18,3 milliards de dollars, tiré par l’agriculture, avec une croissance de 4 %. Le Niger, lui, étonnait par un rebond spectaculaire de 9,9 % grâce à la reprise de l’activité minière et aux investissements publics. Le Burkina Faso résistait, avec une croissance stable de 5,5 %, malgré une pression sécuritaire constante.
Ensemble, les trois pays de l’AES représentent plus de 70 millions d’âmes et un PIB cumulé supérieur à 62 milliards de dollars. Ce potentiel, incontestable, est aujourd’hui corseté par des défis immenses : vulnérabilité alimentaire, dépendance énergétique, accès insuffisant à la santé, à l’éducation et à l’eau potable.
Aussi, en filigrane des discussions, s’est dessinée l’ébauche d’un nouveau modèle. Un modèle de coopération à géométrie variable, moins figé, moins normatif, mais plus ancré dans les réalités. Un modèle où le pragmatisme l’emporterait sur les dogmes. Où les citoyens retrouveraient leur place dans l’équation régionale.
Vers une nouvelle grammaire régionale ?
Les diplomates présents à Bamako en sont convenus : l’idée d’une rupture brutale, d’un divorce sans appel, appartient désormais au passé. Le ton est à la réinvention. À la construction d’un cadre souple, respectueux des choix souverains mais attentif aux intérêts communs.
Loin des postures idéologiques, il s’agit désormais de bâtir un édifice fondé sur l’interdépendance. Car aucune nation, aussi résiliente soit-elle, ne peut affronter seule les défis du XXIe siècle. Le terrorisme, les crises économiques, les pandémies, les changements climatiques ne connaissent pas les frontières tracées par l’homme. L’Afrique de l’Ouest, qu’elle le veuille ou non, est condamnée à s’unir ou à s’effondrer.
Le défi est immense, mais les bases sont jetées. En reconnaissant l’urgence d’une nouvelle ère, les responsables politiques des deux blocs ont franchi un seuil moral. Celui du retour à la parole, au compromis, à l’intelligence collective.
Une trêve ou un tournant ?
La rencontre de Bamako restera, à n’en point douter, une date clef de la diplomatie sahélienne. Peut-être n’est-elle encore qu’un prélude, une trêve dans un conflit latent, un acte de courtoisie diplomatique. Mais elle pourrait aussi, si les engagements pris sont honorés, devenir l’acte fondateur d’une architecture régionale réinventée. Moins centralisée, plus souple. Moins normative, plus humaine. Une CEDEAO réformée ? Une AES élargie ? L’avenir le dira.
Ce qui est certain, c’est que dans une région secouée par les violences, les coups d’État, les déplacements massifs de populations et les désillusions successives, s’asseoir autour d’une table n’a rien d’un geste banal. C’est un acte fort. Un pari. Une exigence politique, mais surtout une obligation morale envers les peuples du Sahel, trop longtemps sacrifiés sur l’autel des intérêts institutionnels.
Conclusion : L’espoir, en chantier
Le Sahel ne demande pas la pitié du monde. Il réclame une gouvernance à sa mesure, des institutions adaptées à ses défis, une intégration respectueuse de sa diversité. Ce que les peuples sahéliens attendent, ce ne sont pas des slogans, mais des ponts. Ce ne sont pas des injonctions, mais des solutions.
Ce 22 mai 2025, les acteurs politiques du Sahel et de la CEDEAO ont recommencé à se parler. C’est peu. Mais c’est déjà immense. Le reste dépendra de leur courage, de leur constance, de leur capacité à placer l’humain au centre.
Dans un monde fatigué des promesses, l’Afrique de l’Ouest peut encore surprendre. À condition que le dialogue de Bamako ne soit pas une parenthèse. Mais le début d’une nouvelle page.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon