Titre : « Et Dieu créa la femme… » : Aux origines d’un dessein sacré, entre soutien, puissance et mystère

Introduction : un verset, mille interprétations
« Et Dieu créa la femme pour qu’elle soit le soutien de l’homme. » Tirée des premiers chapitres du Livre de la Genèse, cette formule, bien qu’absente sous cette exactitude textuelle dans les traductions canoniques, résonne avec force dans l’imaginaire collectif et les représentations théologiques. À travers elle se dessinent les contours d’un projet divin où la femme, loin d’être une simple adjonction à l’homme, incarne une dynamique de complémentarité, de solidarité, mais aussi de puissance tranquille. Dans ce long format, nourri d’histoire, de spiritualité et de réflexions contemporaines, nous interrogeons les profondeurs du texte sacré et les multiples lectures qu’il a suscitées au fil des siècles. Une odyssée où se mêlent exégèse, philosophie, condition féminine et combat pour l’équilibre.
I. Un souffle de chair et d’esprit : la femme dans la Genèse
Dans le récit biblique, l’homme est tiré de la poussière et la femme, du côté de l’homme. Ce détail n’est ni anodin ni secondaire. Il est la clef de voûte d’une pensée anthropologique fondatrice. Au chapitre 2 du livre de la Genèse, il est écrit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. » (Genèse 2:18). L’hébreu originel utilise ici l’expression ezer kenegdo, souvent traduite par « aide semblable à lui » ou « secours qui lui soit assorti ».
Mais le mot ezer — parfois maladroitement réduit à une idée de subordination — est utilisé ailleurs dans les Écritures pour désigner… Dieu lui-même. Dans le Deutéronome ou les Psaumes, Ezer désigne Dieu en tant qu’aide puissante. Il n’est donc pas synonyme d’infériorité, mais d’une force d’appui, d’une présence salvatrice et indispensable. Par cette nomination, la femme, dans le dessein divin, est conçue non comme un appendice, mais comme une figure d’équilibre, de dialogue, de profondeur.
II. L’ombre des patriarcats, le silence des siècles
Durant des siècles, cependant, cette interprétation de la femme comme ezer, soutien fort et spirituellement équivalent à l’homme, fut occultée. Les sociétés patriarcales, appuyées par des lectures littérales ou dévoyées du texte sacré, imposèrent à la femme un rôle secondaire, domestique, soumis. La faute d’Ève, point de bascule du récit édénique, fut instrumentalisée pour justifier l’infériorisation. Elle, qui avait tendu la main au fruit défendu, devenait la cause de la chute, le vecteur du péché, la matrice du désordre.
Dans les écrits des Pères de l’Église comme dans la théologie scolastique médiévale, cette lecture s’imposa, imposant silence et effacement à des générations de femmes. Pourtant, ici ou là, des voix s’élevaient, audacieuses et prophétiques. Hildegarde de Bingen, mystique et visionnaire du XIIe siècle, écrivait : « L’âme de la femme est lumière, elle est souffle, elle est force en mouvement. »
III. Réhabiliter l’intention divine : de l’aide au pilier
Avec l’avènement de l’exégèse moderne, des recherches philologiques et une relecture critique des textes, le sens profond du récit originel se redessine. Loin d’un récit hiérarchique, la Genèse devient le théâtre d’un projet divin d’unité, de symétrie différenciée. La femme est créée à partir de l’homme non pour en être l’ombre, mais pour révéler sa propre lumière.
« Soutien » ne signifie pas soumission. Il évoque la solidité, la fidélité, la présence active. Il suppose que l’homme, sans la femme, demeure incomplet, bancal. Ce soutien n’est pas un appui muet, mais un dialogue vivant, une résistance aimante, un miroir critique. Elle est celle qui relève, qui accompagne, qui corrige parfois, qui protège souvent.
Dans cette perspective, les figures féminines de la Bible, longtemps reléguées à l’arrière-plan, retrouvent une pleine stature. Sarah, Déborah, Ruth, Esther, Marie… Chacune à sa manière incarne cette puissance de l’aide, du soutien incarné, de la foi qui relève les peuples et transforme le cours de l’histoire.
IV. Le féminin sacré dans les traditions spirituelles
Si la Genèse a servi de socle à la tradition judéo-chrétienne, d’autres cultures et religions ont également conçu le féminin comme un pilier ontologique. Dans la mystique soufie, l’âme est parfois décrite au féminin, épouse du divin. En Afrique traditionnelle, la femme est la gardienne des équilibres cosmiques et la médiatrice entre les vivants et les ancêtres. En Inde, les énergies divines sont incarnées par des déesses puissantes — Durga, Lakshmi, Sarasvati — symboles de force, de sagesse et d’abondance.
Toutes ces traditions convergent vers une idée fondamentale : le monde est tenu par une énergie féminine primordiale, sans laquelle la création s’effondre.
V. Aujourd’hui : réconcilier le texte et la vie
Au XXIe siècle, alors que les combats féministes, spirituels et sociaux redéfinissent les rôles, les discours religieux retrouvent l’urgence de relire les textes avec rigueur, honnêteté et inspiration. Il ne s’agit pas de plier les Écritures aux désirs du temps, mais de retrouver leur vérité vivante, parfois ensevelie sous des siècles de conformismes.
Dans les cercles théologiques contemporains, la femme est désormais reconnue comme théologienne, prophétesse, guide spirituel. Des pasteures, des imames, des prêtres anglicanes élèvent la voix. Dans les synagogues libérales, les rabbines prennent la parole. Dans les villages africains, les grandes mères sont consultées avant les décisions majeures. Le soutien devient leadership, et le leadership, une forme de service.
Conclusion : L’éclat d’un verset, l’éveil d’une humanité
« Et Dieu créa la femme pour qu’elle soit le soutien de l’homme » : cette phrase, réinterprétée avec justesse, ne doit pas nous enchaîner à des stéréotypes, mais nous rappeler que la création est un acte d’amour, de complémentarité et de relance. L’homme et la femme, dans le récit biblique, ne sont pas rivaux, ni même semblables au sens plat du terme : ils sont les deux faces d’un même souffle. Chacun trouve dans l’autre ce qui manque à sa plénitude. Le soutien de la femme n’est pas une béquille ; c’est une architecture, une grâce active, une sagesse à l’œuvre.
L’histoire de l’humanité, et celle de la foi, commence donc avec un geste tendre et ferme : la création d’un être capable d’aimer, de porter, de penser, d’éclairer. Être femme, dans le projet divin, c’est incarner ce souffle-là. Ni servante, ni sauveuse, mais présence essentielle. Et cela, le monde, après tant de siècles, commence à peine à le redécouvrir.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon