Journalistes africains : entre feu et silence, ils tiennent la plume de nos libertés
Les dernières données du classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières (RSF) viennent nous frapper au visage comme un vent glacé. Si l’Afrique n’a jamais été un continent monolithique, ni dans ses douleurs ni dans ses espoirs, elle offre aujourd’hui un spectacle déchirant : celui de journalistes courageux enfermés, exilés, assassinés ou réduits à la mutité dans des États qui préfèrent le silence à la transparence, le contrôle à la critique.

Comment ne pas frémir à la lecture de ces lignes qui relèguent l’Érythrée à la 180e et dernière place du classement mondial, éternel goulag pour journalistes ? Comment ne pas être révolté par l’assassinat de Martinez Zogo au Cameroun, alors même que ce pays abrite une multitude de médias qui devraient, en théorie, garantir un contre-pouvoir démocratique ? Et que penser de l’Égypte, où le rêve de Tahrir a laissé place à une contre-révolution si efficace qu’elle a bâillonné jusqu’aux pixels ?
La liberté de la presse est le cœur battant de toute société digne de ce nom. Là où elle s’amenuise, c’est toute la respiration citoyenne qui se raccourcit. Quand un micro est arraché, c’est la voix du peuple qu’on étrangle. Quand un journal est fermé, c’est une fenêtre sur le réel que l’on cloue.
Et pourtant. Au sein même de ce paysage morose, quelques phares continuent de briller. L’Afrique du Sud, la Namibie, le Cap-Vert nous rappellent qu’il est possible de concilier stabilité politique, respect des droits fondamentaux et pluralisme médiatique. Ces pays ne sont pas parfaits, non. Mais ils tiennent bon. Et surtout, ils offrent à leurs journalistes quelque chose de précieux : la possibilité de faire leur travail sans avoir à regarder sans cesse par-dessus leur épaule.
Mais cette lumière ne suffit pas à dissiper l’obscurité alentour. Chaque jour, des rédactions ferment, des voix s’éteignent, des vérités sont étouffées. Pas seulement par les États. Aussi, et de plus en plus, par des groupes économiques puissants, par des campagnes de harcèlement numérique, par des armées d’anonymes nourries à la haine et à la désinformation.
C’est pourquoi la défense de la liberté de la presse ne doit plus être perçue comme un combat de journalistes pour les journalistes. C’est notre cause commune. Car un peuple privé d’information fiable, critique et pluraliste devient un peuple vulnérable, manipulable, aveugle.
La presse n’est pas parfaite. Elle peut se tromper, déraper, être instrumentalisée. Mais sa mission première – dire ce qui est, même quand cela dérange – reste l’un des derniers remparts contre la tyrannie, l’arbitraire et l’oubli.
Ce que nous demandons, ce n’est pas l’immunité. C’est la liberté. La liberté d’enquêter sans risquer la prison. La liberté de publier sans craindre l’exil. La liberté de déranger sans mourir.
À ceux qui dirigent les États, nous disons : un journaliste tué, c’est une démocratie qui vacille.
À ceux qui nous lisent : un journaliste bâillonné, c’est votre droit à savoir qui disparaît.
Et à ceux qui écrivent encore, malgré la peur : tenez bon. Car sans vous, il ne reste que l’ombre.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon