Aïssatou Diori, 51 ans après : mémoire d’un assassinat occulté et héritage silencieux d’un couple présidentiel
Niamey. Au cœur du Sahel, où le vent soulève encore la poussière d’une mémoire nationale parfois engourdie, deux dates s’inscrivent en creux dans la conscience historique du Niger : le 15 avril 1974, jour funeste de l’assassinat d’Aïssatou Diori, Première dame du pays, et le 23 avril 1989, date du décès de son époux, Hamani Diori, premier Président de la République du Niger. Cinquante et un ans après l’un, trente-cinq ans après l’autre, ces deux figures demeurent à la fois emblématiques et tragiquement absentes du récit républicain nigérien.

Une Première dame assassinée : silence sur un crime d’État
Aïssatou Diori, née Aïssatou Kouré, incarne à elle seule le raffinement intellectuel, la générosité sociale et la dignité féminine de toute une époque. Issue d’une famille prestigieuse, elle fut l’une des premières Nigériennes à s’investir dans la promotion de l’éducation des filles et des soins de santé de proximité. Aux côtés de son époux Hamani Diori, elle fut l’architecte invisible mais décisive de la diplomatie du Niger post-indépendance, tissant des liens entre Niamey, Dakar, Rabat, Paris et Addis-Abeba.
Le 15 avril 1974, à l’aube d’un coup d’État orchestré par le lieutenant-colonel Seyni Kountché, l’armée renverse le régime civil d’Hamani Diori. Ce matin-là, des militaires font irruption dans la résidence présidentielle. Dans une scène de chaos qui ne sera jamais officiellement élucidée, Aïssatou Diori est abattue. Les circonstances exactes de sa mort restent troubles : assassinat prémédité ou meurtre collatéral ? Aucun rapport officiel, aucun procès, aucune reconnaissance d’État n’est venu restaurer sa mémoire ou interroger les responsabilités.
Un silence assourdissant pèse depuis un demi-siècle sur cet assassinat. Ni les autorités de l’époque, ni les régimes successifs n’ont souhaité soulever le voile sur cette mort, pourtant symptomatique d’une époque où l’ascension militaire balayait les idéaux civils de l’indépendance.

Hamani Diori : le sage oublié
Hamani Diori, quant à lui, fut une figure cardinale du panafricanisme francophone des années 1960. Co-fondateur de l’Union progressiste nigérienne (UPN), député à l’Assemblée nationale française, puis premier président du Niger indépendant en 1960, il incarna une diplomatie de dialogue, une volonté d’unité intérieure et une fidélité à l’esprit de coopération avec l’ancienne puissance coloniale, sans renoncer pour autant à l’affirmation souveraine.
Son renversement en 1974, après 14 années de pouvoir, le conduira à une longue détention à Zinder, puis à une assignation à résidence. Pendant plus d’une décennie, il sera privé de toute expression politique. Libéré en 1987, il se retire au Maroc, où il s’éteint le 23 avril 1989 à Rabat, dans une discrétion contrastant avec la solennité de ses engagements passés.
Sa mort, survenue dans l’exil, scella définitivement l’effacement d’une ère politique que l’histoire nationale peine encore à réintégrer dans son corpus éducatif, civique et mémoriel.

Héritage brisé, mémoire à reconstruire
Au-delà du couple, c’est toute une vision de la République qui s’est évanouie dans les limbes de l’oubli : celle d’un État civil, d’un leadership éclairé, d’une ambition panafricaine raisonnée. La mémoire d’Aïssatou Diori et d’Hamani Diori ne relève pas seulement d’un devoir d’hommage ; elle constitue un maillon essentiel dans la compréhension de la trajectoire démocratique du Niger et, plus largement, de l’Afrique francophone post-coloniale.
Aujourd’hui encore, aucune statue, aucune avenue de Niamey, aucun programme scolaire ne restitue la pleine mesure de leur contribution à la nation. Seuls quelques historiens, journalistes et universitaires persistent à faire vivre leur souvenir dans les marges de la grande narration officielle.
Mais la mémoire, comme l’histoire, possède ses résurgences. À l’heure où le Niger se cherche entre ruptures politiques et aspirations populaires à la souveraineté, il n’est pas vain de revisiter l’héritage de ceux qui, dans la ferveur des indépendances, rêvèrent d’un État juste, éduqué et pacifié. Rendre justice à la mémoire d’Aïssatou Diori et à l’œuvre d’Hamani Diori, c’est aussi rappeler que la construction démocratique passe par la reconnaissance des douleurs passées, et par l’acceptation d’une histoire nationale aux contours parfois tragiques, mais toujours féconds.
En conclusion : réhabiliter pour réconcilier
Le Niger, riche de sa jeunesse et de ses ressources humaines, ne saurait bâtir un avenir stable sans affronter les silences de son passé. Cinquante et un ans après l’assassinat d’Aïssatou Diori et trente-cinq ans après la disparition d’Hamani Diori, il est temps d’ouvrir les archives, de poser les mots, de bâtir les mémoriaux.
Car un peuple qui oublie ses martyrs civils ne peut que répéter ses tragédies militaires.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon