Papa Wemba, l’Immortel de la Sapologie : Neuf ans après, son écho habite toujours le tempo du monde
“Ce n’est pas parce qu’on meurt qu’on cesse de chanter”, aurait-il pu dire, avec ce sourire malicieux et désarmant qui était le sien. Il y a neuf ans, jour pour jour, le 24 avril 2016, le légendaire Papa Wemba s’écroulait sur scène à Abidjan, sous les projecteurs, enveloppé dans l’éclat du destin qu’il avait si majestueusement sculpté. Une fin tragique, mais peut-être fidèle à son mythe : mourir debout, dans l’acte même de créer, au cœur de cette communion incandescente qu’est la scène.

Aujourd’hui encore, neuf ans après cette disparition brutale, la mémoire de Jules Shungu Wembadio Pene Kikumba – alias Papa Wemba – n’a rien perdu de sa clarté. L’ombre du “roi de la rumba” plane toujours sur les musiques africaines, sur la mode, sur l’âme même d’un continent qui, à travers lui, a osé chanter ses douleurs, sublimer ses joies, et afficher son élégance avec une fierté insolente.

L’enfant de la Matonge : naissance d’un mythe
Né le 14 juin 1949 à Lubefu, au Congo belge, Jules Wembadio grandit dans le quartier populaire de Matonge, à Kinshasa, véritable creuset culturel de la capitale zaïroise. Très tôt, il se laisse envoûter par les chants traditionnels, les harmonies polyphoniques de la chorale familiale, puis par les grandes voix du jazz, de la soul et de la rumba congolaise.
Son ascension commence au sein du groupe Zaïko Langa Langa, dans les années 1970, où il impose un style vocal inimitable, à la fois suave et électrique. Mais c’est avec son propre ensemble, Viva La Musica, fondé en 1977, qu’il révolutionne la scène musicale. Papa Wemba devient alors bien plus qu’un chanteur : un chef d’orchestre de l’imaginaire, un bâtisseur de mondes sonores, un poète flamboyant.

L’ambassadeur de la sape : le style au service de l’âme
Ce n’est pas uniquement par sa musique que Papa Wemba a marqué les esprits, mais aussi – et peut-être surtout – par son sens inouï du style. Le créateur de Viva La Musica fut également le prophète autoproclamé de la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes (SAPE). Dans cette école de vie où le vêtement devient manifeste d’identité, Papa Wemba érige le dandysme congolais en art suprême.
Costumes griffés, couleurs vives, poses calculées et déhanchements chorégraphiés, il imposait une esthétique où l’homme noir se réapproprie la noblesse du port, la dignité du corps, la beauté du paraître. « L’habit ne fait pas le moine, mais il y contribue beaucoup », aimait-il répéter, dans ce dialecte congolais si cher à ses fans.

Une voix entre deux mondes : le local et l’universel
L’immense mérite de Papa Wemba réside dans sa capacité à faire dialoguer les mondes. Fidèle à ses racines bantoues, il n’a jamais cessé de chanter en lingala, langue dans laquelle il transfigurait les mots par une technique vocale épurée, expressive, charnelle. Mais il fut aussi l’un des premiers musiciens africains à s’exporter avec panache sur la scène internationale.
Ses collaborations avec Peter Gabriel, Youssou N’Dour, ou encore Manu Dibango, ses apparitions au Festival de Montreux, et sa signature sur le prestigieux label Real World, témoignent de cette vocation cosmopolite. Papa Wemba incarnait un certain pan-africanisme artistique : celui qui n’a pas peur de dialoguer avec le monde, tout en restant viscéralement enraciné.

La scène comme dernier souffle : l’apothéose d’une vie
C’est le 24 avril 2016, lors du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (FEMUA), en Côte d’Ivoire, que le rideau tombe. Devant un public en liesse, le chanteur entonne ses classiques. Il entame à peine une chanson lorsqu’il s’effondre, frappé par un malaise fatal. Quelques secondes de silence suspendent l’éternité. Il ne se relèvera jamais.
Mais pouvait-il rêver meilleure sortie de scène ? Mourir en chantant, offrir son dernier souffle à la foule, aux notes, à la lumière. Papa Wemba n’a pas quitté la scène ; il s’y est fondu, comme on entre dans une légende.

Cinq ans plus tard : l’héritage toujours vivant
Neuf ans après, ses chansons – Show Me the Way, Maria Valencia, Yolele, Esclave – résonnent toujours dans les rues de Kinshasa, de Paris, de Bamako ou de Port-au-Prince. Des jeunes sapeurs poursuivent son évangile de l’élégance. Des musiciens reprennent ses accords. Des voix s’élèvent pour réclamer une place à la mémoire de l’artiste dans les manuels d’histoire.
Son influence est telle qu’en 2021, la République démocratique du Congo lui a rendu un hommage national. Une fondation porte désormais son nom. À Kinshasa, un projet de musée de la sape évoque sa mémoire. Plus encore : Papa Wemba a ouvert la voie à une nouvelle génération d’artistes qui, comme lui, refusent de choisir entre l’Afrique et le monde, entre la tradition et la modernité.

“Rest in power”, dit-on à ceux qui ne meurent jamais vraiment
Papa Wemba n’est pas simplement “mort sur scène”. Il a transcendé la scène. Il a prouvé que l’art peut être plus fort que le souffle. Il appartient désormais à ce panthéon très fermé des artistes qui ne meurent pas, parce qu’ils vivent dans le chant des autres. Parce qu’ils ont donné une âme à la mémoire collective.
Qu’on l’appelle “le roi de la rumba”, “le pape de la sape”, ou simplement “Papa”, il demeure, pour l’Afrique et au-delà, une figure tutélaire, un passeur de beauté, un révolutionnaire tranquille.
Et en ce 24 avril 2025, alors que la brise légère fait danser les feuilles du cimetière de Kinshasa où il repose, une voix semble s’élever au loin : “Laissez-moi chanter, car ma voix est un héritage que nul temps n’effacera.”
Repose en paix, Papa Wemba. Mais surtout, chante encore.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon