L’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs : un plaidoyer pour l’art de cultiver son propre jardin
Dans le ballet incessant des désirs et des ressentiments, chaque regard semble porter en lui la quête d’un ailleurs meilleur. « On veut tous quelque chose que l’on n’a pas », écrivait-on récemment, avant d’ajouter : « Et ainsi va la vie… Partout, les regards se croisent, pleins d’envies et d’illusions, croyant que l’herbe est plus verte ailleurs. » Il est temps, en ces instants troublés où l’horizon se confond avec nos fantasmes numériques, de lever le voile sur ce mirage universel et de redécouvrir la force insoupçonnée de notre propre terrain.

I. Le mirage de l’herbe plus verte
Dès l’enfance, l’être humain éprouve une fascination pour ce qu’il ne possède pas. Le voisin a un jouet plus brillant ? Tout enfant se persuade qu’il en serait plus heureux. À l’âge adulte, cette illusion persiste : une carrière plus prestigieuse, un train de vie plus somptueux, un bonheur conjugal exempt de toute aspérité. Or, cette quête inlassable d’un ailleurs idéalisé n’est autre qu’une fuite en avant, un écrin de désillusions où se dissout la saveur du présent.
Étymologiquement, le mot « désir » signifie « séparer » : il isole, il écarte de ce que l’on est, de ce que l’on possède. En croyant gagner un territoire de félicité, nous risquons de perdre le sol ferme de notre propre identité.

II. Derrière chaque façade, des batailles invisibles
Pourtant, derrière le lustre des réussites et l’éclat des réputations, se livrent souvent des combats silencieux. Le succès d’une entreprise est bâti sur des nuits blanches, des renoncements, des doutes paralysants ; la quiétude affichée d’un foyer cache parfois des non-dits et des peines qu’on ne saurait partager. Chaque victoire laisse en germe l’ombre de sacrifices méconnus : efforts inlassables, renoncements personnels, souffrances tus que seule la ténacité de l’âme permet de vaincre.
Ainsi, quand nous envions l’existence d’autrui, nous passons sous silence la facture invisible de ses triomphes. Nous croyons posséder un tableau lisse, sans son verso criblé d’épreuves.

III. Le prix méconnu du bonheur
Les sciences sociales le confirment : le bonheur n’est pas la simple somme d’émotions positives, mais l’équilibre subtil entre satisfaction, sens et résilience face aux difficultés. Celui qui ne connaît pas l’échec ne mesure pas la valeur de la réussite ; celui qui ignore la tristesse ne goûte pas la plénitude de la joie. Le bonheur véritable, loin d’être une récompense accordée aux élus, s’érige jour après jour, pierre après pierre, sur le socle laborieux de la persévérance.
Cette alchimie intime, qui transforme les larmes en force, ne se vend pas sur les étals de la comparaison. Elle s’apprend, se cultive, s’entretient.

IV. Cultiver son jardin intérieur
Selon la belle métaphore de Voltaire, chacun est jardinier de son existence : il lui revient de semer, d’arroser, d’éclaircir, et de protéger son terrain. Aux semences de la gratitude succèdent les fleurs de la sérénité ; à l’arrosage de l’effort régulier répond la fructification de l’épanouissement.
Arroser son propre jardin suppose de porter un regard attentif sur ses talents, ses réussites et ses décrits — fût-ce modestes —, sans céder à l’envie dévorante qui obscurcit l’esprit. C’est un acte de conscience, de présence à soi, qui écarte la comparaison stérile pour faire place à l’exploration créatrice.

V. L’art de l’appréciation
« Ce que nous envions chez quelqu’un d’autre vient avec un prix que nous ne voyons pas toujours », avertit la sagesse populaire. Or, notre modernité — façonnée par les réseaux sociaux et le zapping des sens — exacerbe l’envie tout en occultant la dette morale et psychologique des réussites.
Apprendre l’art de l’appréciation, c’est renouer avec la capacité de s’émerveiller de ce que l’on a. C’est reconnaître qu’un toit, un travail honorable, l’amitié sincère, sont des trésors dont la valeur s’éprouve non au prisme de l’inaccessible, mais à celui de la constance et de la gratitude.

VI. Entre ambition et gratitude : un équilibre subtil
L’ambition demeure un moteur précieux ; elle participe à l’élévation de l’humanité. Toutefois, sans la contrepartie indispensable de la gratitude, elle peut se transformer en tyran intérieur, fomentant jalousies et insatisfactions.
Le sage classique distingue deux postures : celle du promeneur distrait, toujours insatisfait, et celle du pèlerin conscient, conscient de ses pas et des paysages traversés. La seconde ne renonce pas à avancer, mais s’autorise des haltes pour célébrer les étapes franchies.

VII. Aimons-nous vivants : une invitation à la fraternité
Au-delà du simple appel à la modération des désirs, il convient de rappeler que l’être humain est fondamentalement un animal social. Nos envies et nos frustrations se nourrissent mutuellement, à travers le regard que nous portons les uns sur les autres.
En cultivant notre jardin intérieur, nous devenons moins sujets aux mirages extérieurs et plus enclins à l’empathie. L’amour que nous portons à nos proches — et à nous-mêmes — s’en trouve renforcé. C’est ainsi que la devise contemporaine « AIMONS NOUS VIVANTS » prend tout son sens : elle nous exhorte à chérir la vie dans sa fragilité et à célébrer la valeur de chaque existence, sans la jauger aux étalons de comparaisons illusoires.
VIII. Un dernier mot : semer la compréhension
« Que Dieu nous donne la Compréhension », implore l’auteur de la pensée initiale. Peut-être faut-il entendre, dans cette formule, le souhait d’une sagesse partagée, capable de dépasser les égoïsmes et de promouvoir une fraternité authentique.
Comprendre, c’est d’abord saisir que chaque être porte en lui un récit singulier, fait de blessures et de joies, de renoncements et de victoires. C’est reconnaître que l’herbe, loin d’être plus verte ailleurs, change de couleur selon les soins que l’on lui prodigue.
Que chacun de nous, dans cette vaste odyssée qu’est la vie, apprenne à cultiver la patience, la générosité et l’attention, afin que fleurisse, au cœur de nos existences, ce jardin intérieur où nous sommes tous appelés à prospérer.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon