L’Afrique entre slogans et silence : l’urgence de l’engagement citoyen
Depuis notre clavier, nous excellons à marteler de grands mots, à forger des slogans percutants et à délivrer des discours enflammés. Chaque jour, les colonnes de la presse et les fils de nos réseaux vibrent au rythme de déclarations solennelles, de promesses tonitruantes et de joutes verbales spectaculaires. Nous sommes devenus, en maîtres incontestés du verbe — toujours prompts à dénoncer, à sermonner, à réclamer des comptes. Et pourtant, dès qu’il s’agit de passer du discours à l’acte — dès qu’il s’agit de débattre en conscience, de bâtir des projets collectifs ou de décider de l’avenir de notre continent — que découvrons-nous ? Un vide assourdissant : prétextes, atermoiements et postures creuses.

Les excuses au paysage politique et social
« Ce n’est pas la bonne méthode. »
« Je ne viens pas, c’est organisé par un tel. »
« Moi, je n’ai pas été invité. »
Ces formules, mises en boucle, illustrent la stagnation de notre espace public. Elles ne sont pas de simples alibis : elles sont l’épitaphe de toute velléité de responsabilité civique. Derrière ces mots se cachent la lâcheté de ceux qui préfèrent guetter un prétexte pour rester dans l’ombre plutôt que d’assumer la charge du débat ; l’orgueil de ceux qui estiment que leur nom seul suffit à légitimer toute action ; et l’hypocrisie de ceux qui se drapent dans le refus de l’invitation, mais ne proposent jamais rien d’autre que leurs critiques.
Une société en surplace
Il serait injuste de ne pas reconnaître les progrès ponctuels et les initiatives salutaires qui parsèment le paysage africain. Des succès individuels, des startups innovantes, des ONG engagées, de jeunes leaders charismatiques. Mais ces lueurs demeurent trop souvent isolées, éclipsées par la cacophonie des slogans et la crainte collective de l’engagement. En lieu et place d’une ambition partagée, nous assistons à une fragmentation croissante : chacun attend — ou exige — que l’autre prenne l’initiative. Les grandes coalitions s’effritent, les coalitions politiques se délient, et les dynamiques locales peinent à trouver un relais à l’échelle régionale voire continentale.
Le prix de l’inaction
À force d’esquiver l’effort, nous courons le risque de nous réveiller un jour sans pays, sans cette chère Afrique que nous brandissons aux quatre vents comme un étendard de ralliement éphémère. Dépourvu de débats structurés, de projets partagés, de structures capables de transcender les intérêts personnels et les clivages ethniques ou politiques, notre continent vacille. Les puissances étrangères comblent le vide : elles investissent dans les mines, dans les routes, dans les infrastructures, souvent au prix d’un contrôle accru sur nos ressources et nos destinées. Pendant ce temps, nous restons spectateurs de décisions qui nous engagent pourtant plus que tout.
Briser le cercle vicieux de la victimisation
Que reproche-t-on encore à l’Afrique ? Son retard économique, ses crises politiques, ses conflits localisés, sa jeunesse sans repères. Le discours officiel, relayé par certains médias internationaux, aime à nous présenter comme des victimes permanentes — dénuées de toute responsabilité et en attente perpétuelle d’une aide extérieure salvatrice. Il est temps de rompre avec cette posture apitoyée. Loin de nier les difficultés réelles — pauvreté, inégalités, instabilité régionale —, nous devons refuser la facilité de la victimisation. Chaque crise, chaque défi est aussi une opportunité de se réinventer, de co-construire et d’affirmer notre capacité à décider de notre propre destin.
Vers une Renaissance citoyenne
Que faire, alors ? Le premier pas est de revendiquer haut et fort notre droit au débat. Organisons des assises locales, des forums de quartier, des débats en ligne où chaque voix est entendue. Ne fuyons plus l’invitation et ne nous désignons plus hôtes parfaits de réunions impuissantes : soyons les initiateurs de tables rondes, porteurs de projets transversaux, médiateurs entre générations et communautés.
Ensuite, engageons-nous concrètement. Choisissons un secteur — l’éducation, la santé, l’agriculture, l’économie numérique — et investissons-y notre énergie. Le travail de terrain est plus exigeant que la posture virale : il réclame persévérance, humilité et esprit d’équipe. Mais c’est dans ce creuset de l’effort commun que se forgent les succès durables.
Enfin, tissons des alliances au-delà des frontières nationales. L’Afrique n’est pas un ensemble de micro-États étanches ; c’est une entité culturelle, économique et politique unique, structurée par des histoires partagées et des aspirations communes. Les organisations régionales (UA, CEDEAO, SADC) doivent être revitalisées par la pression de citoyens déterminés, exigeant transparence et efficacité.
L’appel aux urnes et à l’action
Les élections ne sauraient être le seul lieu de notre responsabilité. Certes, il est impératif d’exiger des scrutins honnêtes et représentatifs. Mais voter — c’est un acte, certes nécessaire et essentiel — ne suffit pas. Chaque jour, nous pouvons devenir acteurs du changement : en siégeant dans un conseil de quartier, en rejoignant une coopérative agricole, en parrainant une startup locale, en animant une cellule de lecture ou de tutorat.
Conclusion : l’Afrique, notre bien commun
Si nous continuons à nous retrancher derrière nos écrans, à nous réfugier dans des formules toutes faites, à attendre qu’un sauveur vienne « organiser » notre avenir, nous nous condamnerons à demeurer spectateurs de notre propre destin. Seule une Renaissance citoyenne, fondée sur l’engagement individuel et la coopération collective, peut nous arracher à la fatalité.
Un jour, oui, nous pourrions nous réveiller sans pays — et ce jour-là, il sera trop tard. Mais ce n’est pas un fatalisme inéluctable : c’est un appel vibrant à l’action. Engagés, solidaires, responsables, nous pouvons redonner à l’Afrique la place qu’elle mérite, non pas comme un grand slogan, mais comme une réalité construite pas à pas, main dans la main, cœur à cœur.
Faisons de notre continent une terre d’espérance active, et non le cimetière de nos discours inassouvis.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon