« Ouezzin Daniel Lazare Coulibaly, voie d’Afrique » : Une épopée cinématographique pour réhabiliter l’héritage d’un pionnier de la Haute-Volta
Jeudi après-midi, l’auditorium de la mairie centrale de Ouagadougou s’est transformé en un véritable sanctuaire du souvenir et de la mémoire, accueillant un parterre de cinéphiles burkinabè, africains et européens venus vibrer au rythme d’un récit historique réinventé. Le film « Ouezzin Daniel Lazare Coulibaly, voie d’Afrique », œuvre ambitieuse signée par le réalisateur Bernard Yaméogo, a ainsi été projeté devant un public passionné et attentif, avide de redécouvrir l’un des grands bâtisseurs de l’histoire de la Haute-Volta.

Une ambition réhabilitative et un appel à la conscience historique
Dans un contexte où l’oubli collectif tend à effacer les figures fondatrices, Bernard Yaméogo a choisi d’ériger son œuvre en un vibrant plaidoyer pour la reconnaissance du premier dirigeant de la Haute-Volta. « Je suis content que le film soit sorti, même si cela n’a pas été facile. Ce film peut nous permettre de réhabiliter davantage le président Daniel Ouezzin Coulibaly. Ce serait bénéfique pour la conscience historique, pour l’unité nationale et pour le respect de ceux qui nous ont quittés », a-t-il affirmé avec une sincérité désarmante après la projection. L’intention du réalisateur est claire : il s’agit de redonner à Coulibaly la place qui lui revient dans l’histoire, en tant qu’architecte de l’indépendance et de la modernisation d’un pays en gestation.
Daniel Ouezzin Coulibaly : Un acteur visionnaire et pionnier de l’émancipation
Le film retrace la trajectoire fulgurante de Daniel Ouezzin Coulibaly, qui, le 17 mai 1957, prit la tête du premier gouvernement de l’histoire de la Haute-Volta. Vice-président du Conseil de gouvernement, il affirma son indépendance vis-à-vis du gouverneur français Yvon Bourges et insuffla, dès ses premiers instants au pouvoir, une vision résolument tournée vers la modernisation et l’émancipation de son peuple. Dans son discours inaugural, il proclama que « le gouvernement que je préside et dont les membres sont solidaires dans leurs actes entend assumer toutes nos responsabilités. Il s’engage à répondre par tous ses moyens et de toute sa volonté à l’attente des populations ». Ce message, empreint d’une détermination inébranlable, résonne encore aujourd’hui comme un symbole de courage et de lucidité.
Par ailleurs, l’œuvre cinématographique plonge le spectateur dans le célèbre discours-programme du 20 mai 1958, prononcé devant les députés voltaïques à Ouagadougou. Ce moment charnière évoque des initiatives majeures telles que la construction de l’hôpital de Ouagadougou—aujourd’hui Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo—l’intensification de la culture du riz, la mécanisation de l’agriculture et même le compromis politique avec la chefferie coutumière. Autant de jalons qui témoignent de la modernité de sa pensée et de la portée de ses actions dans la construction d’un État souverain.
L’héritage radiophonique et télévisuel d’un premier ministre de l’information
Au-delà de son rôle politique, Daniel Ouezzin Coulibaly s’est illustré en tant que premier ministre de l’Information de la Haute-Volta. Sous sa houlette, les travaux d’édification de la radiodiffusion-télévision ont vu le jour, posant les bases d’un dispositif médiatique novateur qui, en bien des aspects, présageait l’indépendance de la communication nationale. Ce pan méconnu de son parcours, mis en lumière par le film, rappelle l’importance de la diffusion de l’information comme levier de transformation sociale et culturelle.
Le réalisateur déplore d’ailleurs l’absence de reconnaissance institutionnelle à l’égard de ce grand homme. « C’est ici, à Ouagadougou, que l’on aurait dû baptiser la présidence de Koulouba en son nom, car il a été le premier président », souligne-t-il avec une véhémence mêlée de nostalgie. Ce constat renforce l’idée que, pour panser les blessures du passé et restaurer la dignité historique, il est impératif de réhabiliter la mémoire de ceux qui ont posé les fondations de notre nation.
Un projet cinématographique en trois actes pour une mémoire collective
Conscient que la vie et l’œuvre de Daniel Ouezzin Coulibaly sont d’une ampleur inépuisable, Bernard Yaméogo a esquissé les contours d’une ambitieuse trilogie. Le premier épisode, présenté lors du FESPACO 2025, se focalise sur les actions déterminantes du président en Haute-Volta. Le deuxième épisode, déjà envisagé, sera consacré à son séjour au Sénégal, où il exerça pendant dix ans, de 1935 à 1945, en tant que surveillant général de l’école William Ponty de Gorée. Cette période, cruciale pour la formation de la première génération de dirigeants africains, souligne son engagement précoce dans la lutte pour l’émancipation des peuples.
Le troisième volet promet d’être une fresque pan-africaine, retraçant son parcours en tant que sénateur, député et leader du Rassemblement démocratique africain (RDA). À travers des rencontres historiques avec des figures emblématiques telles que Félix Houphouët-Boigny, Sékou Touré ou encore Hamani Diori, ce dernier épisode mettra en exergue le combat acharné de Coulibaly pour l’égalité des droits et l’émancipation de l’Afrique. « Ils étaient des révolutionnaires, et beaucoup ont suivi le président Ouezzin Coulibaly dans ces combats. On a tout fait pour les réduire au silence. Aujourd’hui, nous avons la liberté d’écriture pour les ressusciter, les réhabiliter et perpétuer leur mémoire », déclare le réalisateur, en rappelant l’urgence de faire justice à une histoire trop souvent occultée.
Une résonance internationale et un impact pédagogique certain
La projection du film a également attiré l’attention d’un public international. Serge Hyacinthe Kessié, cinéphile ivoirien présent lors de la séance, a souligné la richesse documentaire de l’œuvre : « Le film contient beaucoup d’éléments de recherche qui peuvent servir aux élèves, aux étudiants, mais aussi aux chercheurs pour mieux comprendre l’histoire de l’Afrique ». Ce témoignage illustre combien cette réalisation transcende le simple divertissement pour se muer en outil pédagogique indispensable à la transmission d’un savoir historique souvent méconnu.
L’initiative de diffuser ce film au-delà des frontières du Burkina Faso, notamment en Côte d’Ivoire où une école primaire porte déjà le nom du président Coulibaly, s’inscrit dans une volonté de diffuser une connaissance partagée de notre passé. Ce geste de mémoire contribue à forger un pont entre les nations africaines, en soulignant l’importance de l’unité et de la coopération pour une émancipation collective.
FESPACO 2025 : Une scène de réaffirmation culturelle et historique
La projection de « Ouezzin Daniel Lazare Coulibaly, voie d’Afrique » s’inscrit dans le cadre prestigieux de la 29ᵉ édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), qui se déroule du 22 février au 1ᵉʳ mars 2025. Cette manifestation, véritable creuset de la créativité et de l’innovation cinématographique africaine, offre une tribune exceptionnelle pour des œuvres qui réinventent et réhabilitent des pans entiers de notre histoire. Le film de Bernard Yaméogo se distingue ainsi comme un vecteur de renouveau, invitant à une réflexion profonde sur les racines et l’avenir du continent.
Une invitation à la réconciliation avec le passé
À travers son œuvre, Bernard Yaméogo lance un appel vibrant à la réconciliation avec un passé trop souvent effacé par l’oubli ou la marginalisation. En redonnant vie à la figure de Daniel Ouezzin Coulibaly, le réalisateur propose une méditation sur la nécessité de reconnaître et d’honorer ceux qui ont façonné l’histoire de l’Afrique noire. « Tant que nous ne demanderons pas pardon à toutes ces personnes qui ont posé les bases de ce pays et que nous avons oubliées, nous n’aurons pas la paix entre nous », martèle-t-il avec une intensité qui ne laisse aucun doute sur l’urgence d’un tel geste.
Cet appel à la mémoire n’est pas seulement un devoir envers le passé, mais également un impératif pour l’unité nationale. En réhabilitant Coulibaly, c’est toute une partie de l’identité nationale qui se trouve redéfinie, ouvrant la voie à une meilleure compréhension de l’histoire et à une cohésion renforcée entre les générations.
Conclusion : Un film, un témoignage et une promesse d’avenir
« Ouezzin Daniel Lazare Coulibaly, voie d’Afrique » se présente ainsi comme bien plus qu’une œuvre cinématographique. Il est le témoignage d’une époque charnière, le vibrant hommage à un leader visionnaire dont les actions ont contribué à forger l’identité de la Haute-Volta, aujourd’hui Burkina Faso. À travers une narration riche et nuancée, Bernard Yaméogo parvient à faire résonner l’écho d’un passé glorieux, tout en posant les jalons d’un avenir où la reconnaissance de nos racines sera le socle d’un renouveau collectif.
En compétition au sein du prestigieux FESPACO 2025, ce film promet de s’imposer comme une référence incontournable dans le paysage cinématographique panafricain. Il ouvre la voie à une série d’épisodes ambitieux, destinés à restituer, sous toutes ses dimensions, la vie et l’œuvre de Daniel Ouezzin Coulibaly. Par ce projet, le réalisateur offre à la fois aux historiens, aux chercheurs et au grand public une source inestimable d’inspiration, invitant chacun à s’approprier et à célébrer l’héritage d’un homme dont l’esprit d’émancipation continue de rayonner à travers les âges.
Ainsi, dans un monde en quête de repères et de sens, ce film s’affirme comme une invitation solennelle à la réhabilitation de la mémoire, à la célébration de l’unité et à l’édification d’une identité commune, indispensable à l’épanouissement de notre humanité africaine.
Saidicus Leberger
Pour RADIO TANKONNON