Sud-Soudan : la survie au bord du canal de Jonglei, entre inondations, exil et crise humanitaire
Le long du canal de Jonglei, une région empreinte d’histoire et de promesses non tenues, des dizaines de milliers de Sud-Soudanais se battent pour survivre. Contraints de fuir leurs villages transformés en marécages par des inondations récurrentes, ces déplacés internes vivent désormais sous des abris de fortune, dépendant exclusivement d’une aide humanitaire qui s’amenuise de jour en jour. Leur drame s’inscrit dans un pays meurtri par une décennie de conflits, de crises économiques et d’incapacités institutionnelles.

Une exode forcée : les conséquences des inondations
Dans le village de Gorwai, autrefois prospère, les scènes d’abandon témoignent de la violence des crues. En 2021, Nyabuot Reat Kuor, agricultrice et mère de cinq enfants, a dû fuir son foyer. Tout ce qu’elle possédait a été englouti par les eaux. « Les inondations à Gorwai ont détruit notre ferme et nous ont obligé à quitter la localité », raconte-t-elle avec une voix chargée d’émotion. « Nous n’en savons pas les causes, mais elles ont ravagé nos terres et exterminé notre bétail. Quand nous quittions nos habitations, nous n’avions que des plantes sauvages à manger. »
Comme Nyabuot, près de 70 000 personnes se sont réfugiées le long du canal de Jonglei, un projet d’irrigation vieux d’un siècle, devenu leur unique havre de paix. Mais ce refuge précaire est loin d’être une solution durable. Ces populations déplacées ont perdu non seulement leurs moyens de subsistance, mais également tout espoir de retour à une vie normale.
Un soutien humanitaire entravé
Face à cette crise humanitaire, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a déployé des efforts colossaux pour acheminer de l’aide dans une région presque totalement enclavée. Mais les défis logistiques sont immenses. « Nous livrons de la nourriture par largage aérien », explique John Kimemia, coordinateur des opérations pour le PAM. « Avant de procéder, nous devons préparer une zone de largage. Cela nécessite la collaboration de la communauté pour dégager un espace, car l’accès par route ou par bateau est quasiment impossible. »
L’isolement géographique du canal de Jonglei complique considérablement la distribution des vivres. Les routes sont impraticables, et le niveau trop bas des eaux rend impossible l’utilisation de bateaux pour transporter des cargaisons significatives. Cette situation exacerbe la dépendance des déplacés envers des opérations de largage, coûteuses et limitées dans leur portée.
Une aide insuffisante face à des besoins croissants
Cependant, même ces efforts sont freinés par un manque de financement. Les donateurs internationaux, épuisés par des crises simultanées à travers le monde, peinent à maintenir leur soutien. Les rations alimentaires distribuées aux populations du canal de Jonglei ont été réduites de moitié, aggravant une insécurité alimentaire déjà alarmante.
Selon le PAM, les ressources actuelles permettent tout juste de couvrir les besoins essentiels pour quelques mois, laissant planer une incertitude sur la continuité des secours. « Les besoins humanitaires dépassent de loin les moyens disponibles. Les gens reçoivent à peine de quoi survivre », confie un travailleur humanitaire sous couvert d’anonymat.
Le poids de l’histoire : conflits et incapacité étatique
L’histoire récente du Soudan du Sud est jalonnée de défis complexes qui amplifient la vulnérabilité du pays face aux catastrophes naturelles. Indépendant depuis 2011, ce jeune État a rapidement sombré dans une guerre civile dévastatrice en 2013. Malgré un accord de paix signé en 2018, le pays reste embourbé dans des conflits localisés, des rivalités politiques et une gouvernance défaillante.
Parallèlement, les défis économiques se sont multipliés. L’interruption des exportations de pétrole, principale source de revenus, suite à la destruction d’un oléoduc au Soudan voisin, a porté un coup dur à une économie déjà fragile. Avec des recettes fiscales réduites à leur minimum, le gouvernement sud-soudanais est incapable de répondre aux besoins fondamentaux de sa population, laissant les déplacés internes livrés à eux-mêmes.
Une crise environnementale amplifiée par le changement climatique
Les inondations qui ont transformé Gorwai et d’autres villages en marécages sont devenues un phénomène récurrent au Soudan du Sud. Selon les experts, le changement climatique joue un rôle crucial dans l’intensification de ces crues. La montée des températures mondiales contribue à des précipitations plus intenses, tandis que la topographie plate du pays aggrave les inondations en ralentissant le drainage naturel des eaux.
« Ce que nous observons aujourd’hui n’est pas un événement isolé, mais une tendance à long terme », avertit un climatologue basé à Juba. « Sans investissements massifs dans des infrastructures de gestion des eaux, les communautés continueront de souffrir des effets dévastateurs des inondations. »
L’urgence d’une réponse globale
Alors que la communauté internationale se mobilise pour des crises visibles comme le conflit en Ukraine ou les tensions au Moyen-Orient, le drame des Sud-Soudanais reste largement ignoré. Pourtant, des interventions coordonnées et un soutien financier accru sont indispensables pour éviter une catastrophe humanitaire de plus grande ampleur.
Pour les populations réfugiées le long du canal de Jonglei, l’attente d’une aide suffisante se conjugue à celle d’un avenir meilleur. « Nous voulons simplement reconstruire nos vies », implore Nyabuot Reat Kuor. Mais sans une réponse globale aux causes structurelles de leur exil – conflit, pauvreté, et changement climatique – cette aspiration reste un lointain mirage.
Conclusion : un appel à l’action
Le drame des déplacés du canal de Jonglei illustre les failles d’un système humanitaire dépassé par l’ampleur des crises modernes. Entre l’urgence des besoins immédiats et la nécessité d’une action durable, le Soudan du Sud se trouve à la croisée des chemins.
Pour les habitants de Gorwai et des milliers d’autres, le futur dépendra de la capacité des dirigeants, tant au niveau national qu’international, à traduire les promesses en actions concrètes. À défaut, la résilience de ces populations risque de s’éroder face à des défis qui ne cessent de croître.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon