Cybercriminalité en Afrique : l’Opération Serengeti d’Interpol, un coup de filet historique contre un fléau mondial
Durant deux mois, entre le 2 septembre et le 31 octobre, l’Afrique a été le théâtre d’une opération de répression d’envergure internationale menée par Interpol et Afripol. Baptisée Opération Serengeti, cette initiative a abouti à l’arrestation de 1 006 suspects dans 19 pays africains. Plus qu’un simple coup de filet, cette opération révèle l’ampleur et la sophistication croissantes de la cybercriminalité sur le continent et au-delà. Avec des dizaines de milliers de victimes identifiées et des pertes financières estimées à près de 193 millions de dollars, Serengeti marque un tournant dans la lutte contre ce phénomène.

Un coup de filet sans précédent
L’opération Serengeti, fruit d’une collaboration étroite entre Interpol, Afripol et les forces de l’ordre locales, s’est attaquée à une vaste gamme de délits numériques. Les suspects arrêtés sont impliqués dans des ransomwares, des compromissions de courriers électroniques professionnels (BEC), des fraudes à la carte bancaire, des escroqueries en ligne, et même des réseaux de traite d’êtres humains alimentés par des stratagèmes numériques.
Le secrétaire général adjoint d’Interpol, Valdecy Urquiza, a souligné la complexité croissante de ces crimes :
« De l’escroquerie au marketing multiniveau à la fraude à la carte de crédit à l’échelle industrielle, le volume et la sophistication des attaques cybercriminelles sont très préoccupants. »
En coopération avec des partenaires privés, tels que les fournisseurs d’accès à Internet, et grâce à un partage accru des renseignements entre pays, Serengeti a permis de révéler les ramifications d’un réseau cybercriminel mondial. Parmi les cas emblématiques figure une affaire de fraude à la carte de crédit au Kenya, qui aurait entraîné des pertes estimées à 8,6 millions de dollars, et une escroquerie à la Ponzi au Sénégal, d’une valeur de 6 millions de dollars, opérée notamment par cinq ressortissants chinois.
L’Afrique, nouveau champ de bataille de la cybercriminalité
Le continent africain, en pleine transition numérique, devient une cible privilégiée pour les cybercriminels. Avec l’augmentation rapide du taux de pénétration d’Internet et l’essor des services financiers numériques, les vulnérabilités techniques et institutionnelles se multiplient.
Des experts estiment que cette situation offre un terreau fertile à des activités criminelles allant de la fraude en ligne au blanchiment d’argent en passant par la traite humaine orchestrée via des plateformes numériques.
Dans ce contexte, Afripol, l’agence de police de l’Union africaine, joue un rôle central en renforçant les capacités des forces de l’ordre africaines. Son directeur exécutif, Jalel Chelba, a déclaré :
« Grâce à Serengeti, Afripol a considérablement renforcé son soutien à l’application de la loi dans les États membres de l’Union africaine. »
Chelba a également souligné la nécessité de se préparer aux nouvelles menaces émergentes, telles que les logiciels malveillants basés sur l’intelligence artificielle et les cyberattaques sophistiquées.
Des réseaux criminels diversifiés et transnationaux
Parmi les autres réseaux démantelés lors de l’opération, figurent :
- Un groupe camerounais, accusé d’exploiter un système de marketing multiniveau pour recruter des victimes dans le cadre de la traite d’êtres humains.
- Un réseau angolais, opérant un casino virtuel illégal et une fraude complexe impliquant des investissements fictifs en crypto-monnaies.
- Un groupe nigérian, soupçonné d’escroqueries massives à l’investissement en ligne.
Ces exemples illustrent non seulement la diversité des activités criminelles, mais aussi leur caractère transnational, rendant leur démantèlement particulièrement complexe. Ces réseaux exploitent des failles juridiques et des frontières peu surveillées pour opérer à l’échelle mondiale.
Des victimes par milliers et des dommages considérables
L’un des aspects les plus alarmants de l’opération Serengeti est l’ampleur des dégâts humains et financiers. Interpol a identifié pas moins de 35 000 victimes dans le cadre de cette opération. Ces chiffres témoignent de la capacité des criminels à exploiter des individus et des entreprises, allant des petites escroqueries personnelles aux fraudes financières d’une ampleur industrielle.
Les pertes économiques, estimées à 193 millions de dollars à l’échelle mondiale, sont un coup dur pour des économies déjà fragilisées par des crises multiples. En outre, les ramifications sociales, notamment les cas de traite humaine découlant de certaines de ces activités, ajoutent une dimension tragique à ces crimes.
Interpol et Afripol : des institutions face à de nouveaux défis
Interpol, qui célèbre son centenaire, demeure un acteur clé dans la lutte contre la criminalité transnationale. Cependant, son budget, limité à environ 176 millions d’euros en 2023, reste dérisoire face aux défis croissants de la cybercriminalité, en particulier en comparaison avec des institutions comme le FBI, qui dispose d’un budget annuel de 11 milliards de dollars.
Afripol, de son côté, se positionne comme un allié essentiel pour l’Afrique dans ce combat. Cependant, les deux organisations font face à des défis similaires : un manque chronique de financement, des infrastructures insuffisantes et la nécessité d’harmoniser les cadres juridiques entre États membres.
Vers une coopération internationale renforcée
L’opération Serengeti met en évidence l’importance cruciale de la coopération internationale dans la lutte contre la cybercriminalité. Les autorités locales, les institutions internationales et le secteur privé doivent conjuguer leurs efforts pour contrer ce fléau.
Pourtant, cette collaboration reste entravée par des divisions politiques et des priorités divergentes entre les États. Les experts appellent à des investissements accrus dans les technologies de cybersécurité, ainsi qu’à une plus grande sensibilisation des populations aux risques numériques.
Conclusion : une victoire, mais un combat loin d’être terminé
Si l’opération Serengeti constitue une victoire majeure contre les cybercriminels en Afrique, elle met également en lumière les défis persistants. La lutte contre la cybercriminalité exige des ressources accrues, une coordination renforcée et une adaptation constante aux nouvelles technologies utilisées par les criminels.
Alors que les menaces évoluent, l’Afrique et le monde entier doivent reconnaître que la cybercriminalité n’est pas un problème isolé, mais une problématique globale nécessitant des réponses globales. À travers des initiatives comme Serengeti, une feuille de route commence à émerger, mais le chemin à parcourir reste long.
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