Régulation des églises au Rwanda : entre rationalisation et contrôle étatique
Depuis quelques mois, le Rwanda, sous la férule du président Paul Kagame, intensifie ses efforts pour réguler le paysage religieux, en particulier les églises pentecôtistes, qui connaissent une croissance rapide dans ce pays majoritairement chrétien. Entre fermetures massives, exigences accrues pour les responsables religieux et la perspective de nouvelles taxes sur les revenus des cultes, cette démarche soulève des questions complexes sur l’équilibre entre sécurité publique, encadrement législatif et liberté de religion.

Un vaste audit et des fermetures massives
Au cours des dernières années, le Conseil de gouvernance du Rwanda (RGB) a multiplié les inspections et audits des lieux de culte à travers le pays. En 2018, déjà, environ 700 églises avaient été fermées pour des raisons allant du non-respect des normes de sécurité à l’absence de permis d’opération. Une opération de bien plus grande envergure a été menée en août dernier : plus de 8 000 lieux de culte – églises et mosquées confondues – ont été contraints de cesser leurs activités, tandis que 43 organisations confessionnelles ont vu leurs autorisations révoquées.
Le gouvernement justifie ces mesures par la nécessité de garantir la sécurité des fidèles et d’assainir un secteur qu’il estime gangrené par des abus, notamment financiers. Des responsables politiques accusent certains lieux de culte de fonctionner sans respect des normes de sécurité élémentaires, comme l’installation d’issues de secours ou le respect des capacités d’accueil.
Cependant, ces fermetures massives suscitent des critiques, certains observateurs dénonçant une approche qui pénalise indistinctement les structures respectueuses des règles et celles qui s’en affranchissent.
Paul Kagame, intransigeant face aux abus religieux
Fidèle à son style de gouvernance direct et sans concession, Paul Kagame n’a pas mâché ses mots à l’égard de certains leaders religieux. Lors d’une intervention le 15 septembre dernier, face à des dignitaires religieux, le président rwandais a qualifié de « criminels », « voyous » et « imbéciles » certains pasteurs qu’il accuse d’exploiter la foi pour manipuler et extorquer les croyants.
Ces propos traduisent une profonde exaspération envers ce qu’il considère comme un phénomène d’« escroquerie spirituelle ». Kagame accuse certains chefs religieux de s’enrichir sur le dos de fidèles souvent vulnérables, détournant les contributions des quêtes et dîmes pour des fins personnelles.
Les églises pentecôtistes dans le viseur
L’offensive gouvernementale semble particulièrement ciblée sur les églises pentecôtistes, souvent qualifiées d’« églises de réveil ». Ces structures connaissent un essor spectaculaire au Rwanda, attirant des foules avec leurs prêches vibrants et leur promesse d’un renouveau spirituel.
Si leur popularité croissante inquiète certains milieux religieux établis, le gouvernement critique leur organisation jugée parfois anarchique, ainsi que leurs pratiques financières opaques. Des accusations d’extorsion et des manquements aux normes d’hygiène et de sécurité sont régulièrement portés contre ces églises.
Un projet de loi en préparation prévoit d’imposer des exigences académiques plus strictes pour les responsables religieux. Désormais, obtenir un diplôme de licence pourrait devenir obligatoire pour pouvoir prêcher. Cette mesure, bien qu’encore en débat, reflète la volonté de professionnaliser un secteur souvent perçu comme improvisé et peu réglementé.
Une régulation financière dans les tuyaux
L’aspect financier constitue une autre facette de la régulation envisagée. Le gouvernement rwandais réfléchit à l’introduction de nouvelles taxes sur les revenus des cultes, y compris les offrandes et la dîme. Paul Kagame estime que ces fonds, collectés auprès des fidèles, doivent être soumis à une plus grande transparence et ne devraient pas enrichir personnellement les dirigeants religieux.
Cette initiative est perçue par certains comme un effort légitime pour encadrer un secteur qui brasse des sommes importantes en dehors de tout cadre fiscal. D’autres, cependant, y voient une tentative de restreindre davantage l’autonomie financière des églises, ce qui pourrait fragiliser leur indépendance vis-à-vis de l’État.
Vers une professionnalisation controversée
L’exigence d’un diplôme universitaire pour les responsables religieux divise profondément les opinions. Pour le gouvernement, cette mesure vise à garantir un niveau de compétence suffisant chez les prédicateurs, afin de protéger les fidèles contre des enseignements potentiellement abusifs ou erronés.
Cependant, de nombreux leaders religieux s’y opposent, arguant que l’inspiration spirituelle et la capacité à guider une communauté ne sont pas des compétences qui se mesurent par des diplômes. Pour eux, cette réforme risque de limiter l’accès à la prédication aux seules élites éduquées, excluant des personnes charismatiques et ancrées dans la foi populaire.
Entre sécurité publique et liberté de religion
Au cœur de ce débat, la tension entre sécurité publique et liberté de religion reste palpable. Si le gouvernement insiste sur la nécessité de protéger les citoyens contre les abus et les dangers potentiels dans les lieux de culte, certains observateurs craignent que ces réformes ne soient utilisées comme prétexte pour réduire la liberté d’expression et contrôler davantage la société civile.
La régulation des églises s’inscrit dans une tradition rwandaise d’interventionnisme étatique fort. Sous Paul Kagame, le Rwanda s’est imposé comme un modèle de développement économique et de stabilité, mais ce succès repose également sur une centralisation du pouvoir qui suscite des critiques quant à son impact sur les libertés fondamentales.
Un avenir religieux sous haute surveillance
Alors que le projet de loi de régulation des églises sera bientôt examiné par le Parlement, la société rwandaise reste divisée sur l’opportunité de ces réformes. Pour les partisans du gouvernement, il s’agit d’un pas nécessaire vers une modernisation du secteur religieux, garantissant professionnalisme et respect des normes. Pour ses détracteurs, ces mesures risquent de museler une expression religieuse riche et diversifiée, au profit d’un contrôle étatique renforcé.
Le Rwanda, pays des mille collines et de multiples croyances, se trouve à la croisée des chemins entre tradition spirituelle et rationalisation moderne. Si les intentions affichées par le gouvernement visent à instaurer de l’ordre, la manière dont ces réformes seront mises en œuvre déterminera si elles renforceront ou affaibliront le lien fragile entre foi, société et État.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon