Raila Odinga, un vétéran de la politique kényane, candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine, face aux défis du leadership continental
Dans un contexte de relations internationales tendues et de mutations géopolitiques, Raila Odinga, l’infatigable homme politique kényan, vise la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA). À 79 ans, cet ancien opposant historique et figure emblématique de la lutte démocratique en Afrique de l’Est se présente comme un candidat de poids, fort de sa carrière de plusieurs décennies, marquée par la persévérance, la résilience et un engagement indéfectible pour l’émancipation politique de son pays et de son continent.

Alors que l’Afrique cherche à se positionner en acteur autonome sur la scène internationale, Raila Odinga se veut porteur d’une vision stratégique audacieuse, avec des priorités orientées vers la consolidation de l’unité, le renforcement de l’indépendance économique, et le développement de partenariats équilibrés.
« L’Afrique a d’autres amis » : Odinga face à la politique étrangère incertaine de Donald Trump
Dans un entretien exclusif accordé à l’AFP depuis Addis-Abeba, siège de l’Union africaine, Raila Odinga a abordé la question des relations avec les États-Unis, et plus précisément avec l’administration Trump. Avec une prudence diplomatique, il a indiqué qu’il souhaite « connaître la politique » de l’ancien président américain vis-à-vis de l’Afrique, tout en rappelant que le continent ne dépend pas d’un unique allié. « Si Donald Trump veut travailler en tant qu’ami de l’Afrique, nous lui souhaitons la bienvenue. Sinon, l’Afrique a d’autres amis, » a-t-il déclaré, témoignant de son pragmatisme face à un monde multipolaire.
Cette déclaration résonne particulièrement fort alors que l’Afrique cherche de nouveaux partenariats, notamment avec la Chine, la Russie, et d’autres puissances émergentes.
Les années Trump ont laissé des traces dans la diplomatie américaine avec l’Afrique : entre sa référence maladroite à la « Nambie » à l’ONU et ses propos controversés qualifiant certains pays africains de « pays de merde« , l’ex-président avait suscité l’indignation sur le continent et dans le monde entier.
Pourtant, Odinga a minimisé l’impact de ces incidents passés en soulignant : « C’était le Trump d’avant, nous avons un nouveau Trump aujourd’hui. » Une manière peut-être de signifier qu’en tant que leader continental potentiel, il est prêt à adopter une approche pragmatique pour tirer parti de toute collaboration bénéfique pour l’Afrique.
Un soutien politique déterminant de la part du président kényan William Ruto
L’ancien rival devenu allié, le président kényan William Ruto, a également joué un rôle de soutien pour la candidature d’Odinga. Après avoir remporté l’élection présidentielle de 2022 face à Odinga, Ruto a décidé de soutenir son ancien adversaire dans cette quête pour la présidence de la Commission de l’UA, reconnaissant l’expérience et le charisme de ce dernier.
Ruto a récemment discuté de la mission de maintien de la paix menée par le Kenya en Haïti avec Donald Trump, un échange téléphonique qui illustre les ambitions du Kenya de se profiler comme un acteur sécuritaire et humanitaire en Afrique et au-delà. L’implication croissante du Kenya en Haïti est un exemple de l’engagement de Nairobi sur la scène internationale, et Odinga espère capitaliser sur cet appui pour renforcer son image de candidat capable de promouvoir l’image d’une Afrique proactive et responsable.
Un parcours de résilience et de lutte pour la démocratie
Raila Odinga est un homme au passé politique marqué par les épreuves. Engagé dans les années 1980 contre le régime de parti unique au Kenya, il a été emprisonné arbitrairement pendant près de huit ans sans procès entre 1982 et 1991, avant de connaître un exil temporaire en Norvège.
À son retour, il s’est imposé sur la scène politique kényane en accédant au Parlement lors des premières élections multipartites en 1992, devenant rapidement une figure de proue dans la lutte pour la démocratie au Kenya.
Cinq fois candidat malheureux à la présidence de la République, il reste malgré tout l’un des politiciens les plus influents de son pays. Sa trajectoire illustre une capacité d’adaptation face aux défis politiques et un sens du devoir qui pourrait en faire un président de la Commission de l’UA particulièrement engagé pour les causes africaines.
Quatre candidats pour une présidence clé
Outre Odinga, trois autres candidats sont en lice pour la présidence de la Commission de l’UA : le ministre des Affaires étrangères de Djibouti, Mahamoud Ali Youssouf, l’ancien ministre mauricien Anil Gayan et l’économiste malgache Richard Randriamandrato.
Chacun de ces candidats représente une vision et des priorités propres pour l’avenir de l’Afrique, mais Odinga se distingue par son expérience politique robuste et son réseau d’alliances continentales.
L’élection aura lieu en février, lors du sommet annuel de l’UA, et se fera par vote secret à la majorité des deux tiers des États membres ayant le droit de vote. Le mandat est de quatre ans, renouvelable une fois, et le gagnant devra succéder à Moussa Faki Mahamat, actuel président de la Commission, qui a su naviguer avec diplomatie à travers les crises régionales, mais dont la gestion a parfois été critiquée pour son manque de réactivité face aux défis sécuritaires.
Les défis de la présidence de la Commission : un mandat au carrefour des enjeux continentaux
Si Raila Odinga accède à la présidence de la Commission de l’UA, il aura à faire face à une multitude de défis cruciaux pour l’avenir du continent. La question de la sécurité demeure primordiale : l’Afrique est en proie à de nombreux conflits internes, de la situation au Sahel aux tensions en Éthiopie, en passant par les défis posés par les groupes terroristes en Afrique de l’Ouest et dans la région du lac Tchad.
Outre les enjeux sécuritaires, Odinga devra s’attaquer à la question de l’indépendance économique de l’Afrique, un thème qu’il a déjà abordé dans ses discours. La mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) représente une opportunité pour renforcer les liens commerciaux intra-africains et réduire la dépendance envers les marchés extérieurs. Cependant, sa réalisation effective nécessitera des efforts de coordination, de résilience et de stabilité politique, des conditions souvent mises à mal par les crises internes.
En matière de diplomatie, le futur président de la Commission aura également la responsabilité de maintenir des relations équilibrées avec des partenaires internationaux parfois concurrents dans leur influence sur le continent. Avec l’émergence de la Chine comme investisseur majeur et les influences croissantes de la Russie, de la Turquie et des pays du Golfe, l’UA doit articuler une politique étrangère cohérente qui préserve les intérêts des États africains tout en bénéficiant d’alliances stratégiques.
Une opportunité pour l’Afrique de se réinventer
La présidence de la Commission de l’UA offre une opportunité unique pour Raila Odinga de réaliser l’ambition d’une Afrique unie, forte et prospère. Bien que sa carrière politique ait été jalonnée de revers, il incarne une résilience et une détermination qui pourraient le servir dans cette quête. Alors que le continent est en quête de solutions pour affronter les crises économiques et sécuritaires, mais aussi pour répondre aux aspirations démocratiques et aux besoins de développement de ses peuples, Odinga propose une vision qui semble s’accorder avec cette volonté de renouveau.
L’avenir de l’Union africaine repose sur la capacité de ses dirigeants à bâtir des structures solides et un environnement propice à la paix et au développement. Si le vote de février lui est favorable, Raila Odinga aura quatre années pour marquer de son empreinte l’histoire africaine et prouver que l’expérience d’un vétéran de la politique peut encore inspirer un changement durable et porteur d’espoir.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon