Didier Awadi, le Lion de la Téranga : Porte-voix de la justice et de la mémoire sur la scène des REMA
Le crépitement des projecteurs, le grondement des basses, et la clameur d’une foule en transe résonnaient dans l’air chaud de Ouagadougou. Les Rencontres Musicales Africaines (REMA) battaient leur plein, offrant aux spectateurs une palette d’artistes aux univers variés et engagés. Parmi eux, Didier Awadi, la légende vivante du rap sénégalais, un artiste dont le nom est synonyme de conscience politique, d’engagement social et de combat pour la justice. Lors de cette soirée marquante, Didier Awadi n’a pas seulement ravi son public avec des rythmes percutants et des paroles incisives, il a aussi réaffirmé sa place comme porte-voix des opprimés, des oubliés, et des victimes de la corruption.

Un concert sous le signe de la résistance et de la solidarité
C’est avec une émotion palpable et un sens aigu du moment historique que Didier Awadi a foulé la scène burkinabè, un territoire chargé de symboles pour cet artiste militant. Dès les premières notes, la communion avec le public était évidente. Le rappeur sénégalais, véritable icône du hip-hop africain, n’était pas là uniquement pour divertir. Chaque mot, chaque rime était imprégné de ce qui fait l’essence de son art : une critique implacable de l’injustice, une dénonciation des systèmes corrompus, et un appel à l’unité des peuples africains face aux forces extérieures qui cherchent à les diviser.
Sur scène, Awadi portait un foulard palestinien, un geste symbolique en soutien au peuple palestinien, qui, selon lui, subit « des conséquences incalculables » en raison du conflit prolongé avec Israël. Ce foulard, bien plus qu’un simple accessoire, représentait pour lui un acte politique, un signe de solidarité avec les opprimés du monde entier. « Je suis en foulard pour marquer mon soutien au peuple palestinien », a-t-il déclaré avec force au micro, avant de lancer une série de morceaux puissants, dont certains invitaient le public à scander des refrains aux accents militants.
L’un de ces morceaux, intitulé « Stopper les voleurs de la République », est un classique du répertoire d’Awadi, où il dénonce avec véhémence la corruption qui gangrène les élites politiques à travers le continent africain. En unissant ce message à une critique de l’État israélien, il a établi un parallèle entre les luttes internes de l’Afrique contre les « voleurs de la République » et le combat international pour la libération de la Palestine. « Stopper les voleurs de la République » n’est pas seulement un appel à réformer les structures étatiques corrompues, mais aussi un cri de révolte contre toutes les formes d’oppression, qu’elles soient politiques, économiques ou territoriales.
Awadi et l’héritage de Thomas Sankara
Ce concert n’était pas uniquement un espace de revendication pour Didier Awadi ; c’était aussi une occasion solennelle pour rendre hommage à l’une de ses plus grandes inspirations : Thomas Sankara. Le rappeur, dont le studio à Dakar porte le nom du leader révolutionnaire burkinabè, a profité de la scène pour évoquer la mémoire de celui qu’il appelle son « héros », Noël Isidore Thomas Sankara. Le Burkina Faso venait tout juste de commémorer les 37 ans de l’assassinat de son président visionnaire, et Awadi n’aurait manqué ce moment pour rien au monde.
En pleine performance, il a interrompu la cadence effrénée de ses chansons pour prononcer quelques mots en l’honneur de Sankara, celui qu’il considère comme un modèle de résistance contre l’impérialisme et la corruption. « Thomas Sankara a montré au monde que l’Afrique pouvait se tenir debout, fière et libre », a-t-il affirmé avec ferveur, les yeux brillants d’admiration. Pour Awadi, Sankara incarne tout ce que l’Afrique a de meilleur : l’intégrité, la détermination, et le refus de plier face aux puissances occidentales ou aux élites locales corrompues.
L’hommage s’est poursuivi avec un morceau spécialement dédié à la mémoire de Sankara, un titre où la voix d’Awadi se fait plus douce, presque solennelle, tout en rappelant la dure réalité du combat inachevé pour une Afrique libérée des chaînes de la colonisation et du néocolonialisme. À travers cette chanson, Awadi ne se contente pas de commémorer le passé ; il exhorte la jeunesse africaine à s’inspirer de l’héritage de Sankara pour poursuivre la lutte pour la souveraineté, la justice sociale et l’unité africaine.
Un artiste, un militant, un visionnaire
Didier Awadi n’est pas seulement un artiste. Il est un militant dont l’œuvre est indissociable de ses convictions politiques et sociales. Depuis ses débuts avec le groupe Positive Black Soul dans les années 1990, il n’a cessé de porter haut la voix des sans-voix, dénonçant les dérives des pouvoirs en place, tout en appelant les peuples africains à se réapproprier leur destin. Ses textes, empreints d’une poésie brute, d’une lucidité implacable, sont une arme contre l’oubli et l’indifférence. Dans ses chansons, chaque mot est pesé, chaque vers est une charge contre l’injustice et la corruption qui gangrènent le continent.
Sur la scène des REMA, cette dimension militante était plus que jamais présente. En plus de sa dénonciation de la corruption politique et de l’impérialisme, Awadi a également abordé des questions telles que l’immigration, la mal gouvernance et la responsabilité collective des Africains dans la gestion de leurs propres affaires. « Le problème, c’est nous-mêmes », a-t-il lancé à plusieurs reprises, soulignant que, si l’Afrique doit se libérer des influences extérieures néfastes, elle doit aussi se regarder dans le miroir et faire face à ses propres démons internes.
Cette auto-critique, rare chez les artistes, est l’un des éléments qui distingue Didier Awadi sur la scène musicale africaine. Il ne cherche pas à rejeter la faute uniquement sur l’Occident ou sur les anciennes puissances coloniales ; il reconnaît que les Africains eux-mêmes ont un rôle crucial à jouer dans la renaissance de leur continent. C’est cette honnêteté, ce courage de poser les questions qui dérangent, qui fait de lui une figure incontournable du rap africain engagé.
Une soirée mémorable pour le Burkina Faso et l’Afrique
Le passage de Didier Awadi aux REMA n’était pas un simple concert, mais un véritable événement politique et culturel. En se tenant sur cette scène burkinabè, il a réaffirmé sa solidarité avec le peuple du Faso, un peuple qui, malgré les difficultés économiques et politiques, continue de se battre pour sa dignité et son indépendance. Pour Awadi, le Burkina Faso, terre de Sankara, est bien plus qu’un simple pays ; c’est un symbole de la résistance africaine, un phare pour tous ceux qui rêvent d’un continent libre et prospère.
À travers ses performances, Didier Awadi a prouvé une fois de plus qu’il est bien plus qu’un rappeur. Il est un visionnaire, un porte-drapeau de la jeunesse africaine, un homme pour qui la musique est un outil de transformation sociale. Ses chansons résonnent bien au-delà des frontières du Sénégal, touchant les cœurs et les esprits de millions d’Africains, de Dakar à Ouagadougou, en passant par Bamako, Abidjan et au-delà.
En conclusion, Didier Awadi a marqué les esprits lors de cette édition des REMA. Son engagement sans faille, sa capacité à mêler musique et politique avec une telle finesse, et son attachement indéfectible à l’héritage de Thomas Sankara, en font une figure emblématique de la scène musicale africaine contemporaine. Son passage à Ouagadougou restera gravé dans les mémoires, non seulement comme un moment de grande performance artistique, mais aussi comme une manifestation puissante de résistance et de solidarité. Awadi, fidèle à lui-même, a rappelé à tous que la lutte pour la justice et la dignité continue, et que la musique peut, en effet, être une arme redoutable dans ce combat.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon