Accusations portées contre le journaliste Wassim Nasr : un tournant dans la répression des voix critiques au Sahel
Les autorités judiciaires des trois pays formant la Confédération des États du Sahel – le Burkina Faso, le Mali et le Niger – ont annoncé l’ouverture d’enquêtes contre le journaliste franco-libanais Wassim Nasr, spécialiste reconnu des mouvements jihadistes et de la sécurité au Sahel. Les accusations portées contre lui sont d’une gravité exceptionnelle, le présentant comme un relais d’informations en lien direct avec des groupes terroristes actifs dans la région. Ces révélations interviennent alors que les trois pays, dirigés par des juntes militaires, intensifient leur lutte contre le terrorisme tout en renforçant la répression des médias et des voix critiques.

Accusations d’apologie et de complicité avec des terroristes
Selon un communiqué conjoint des parquets burkinabè, malien et nigérien, Wassim Nasr est accusé de « faire l’apologie du terrorisme » et d’être complice d’actes terroristes perpétrés au Sahel. Le procureur burkinabè a détaillé ces accusations en précisant que l’analyse de plusieurs interventions du journaliste sur divers médias mettrait en évidence des « prises de position et des commentaires s’assimilant à des actes de publicité et de soutien flagrant aux terroristes ». Cette déclaration semble faire référence aux analyses de Nasr concernant les attaques survenues dans la région, notamment l’offensive meurtrière du 17 septembre à Bamako.
Les autorités reprochent au journaliste de se livrer à des commentaires tendancieux au lendemain de chaque attentat, des propos qui, selon elles, sembleraient légitimer, voire encourager les actions des groupes jihadistes. Il est également fait mention d’un prétendu contact direct entre Wassim Nasr et les assaillants, notamment lors de l’attaque de Bamako, où il aurait obtenu en temps réel des informations sensibles sur les cibles visées, les positions des assaillants et les bilans humain et matériel des opérations.
Un tournant inquiétant dans la répression des journalistes
L’annonce de ces enquêtes intervient dans un contexte de répression croissante contre les médias et les voix dissidentes dans les trois pays concernés. Depuis la prise de pouvoir par des régimes militaires au Burkina Faso, au Mali et au Niger, les libertés d’expression et de presse sont systématiquement attaquées. Les médias français, dont France 24, la chaîne pour laquelle travaille Wassim Nasr, ont été suspendus dans ces pays, et de nombreux journalistes ont été contraints à l’exil ou au silence. Cette escalade de la répression vise à museler les critiques à l’encontre des régimes en place, alors que les attaques terroristes continuent de déstabiliser la région.
Les procédures judiciaires engagées contre Wassim Nasr représentent une étape supplémentaire dans la restriction des libertés journalistiques. France 24, dans un communiqué, a fermement dénoncé ces accusations, les qualifiant de « dénuées de fondement ». La chaîne a rappelé le professionnalisme et la rigueur de Wassim Nasr dans le traitement des questions sécuritaires, soulignant qu’il recoupe systématiquement ses informations auprès de tous les protagonistes, y compris les autorités étatiques.
Des enquêtes sous haute surveillance
Ouagadougou, tout en assurant qu’une enquête « diligente » serait menée pour élucider ces « faits graves », a exprimé sa volonté de mettre hors d’état de nuire ceux qu’il qualifie de « complices des terroristes ». Cette démarche semble s’inscrire dans une stratégie de communication visant à rassurer l’opinion publique sur la détermination des autorités à lutter contre les groupes jihadistes, mais aussi contre ceux qu’ils considèrent comme leurs alliés indirects.
Cependant, cette enquête soulève de nombreuses questions. D’une part, elle met en lumière les dangers auxquels sont confrontés les journalistes couvrant des zones de conflit, où l’accès aux sources d’information est souvent limité aux groupes armés eux-mêmes. Les professionnels de l’information doivent jongler entre la nécessité de relayer des faits vérifiés et le risque d’être accusés de collusion avec les acteurs qu’ils cherchent à comprendre et analyser. D’autre part, elle pose la question de la liberté d’information dans des contextes où les autorités cherchent à contrôler le discours public en temps de crise sécuritaire.
Une tension croissante entre liberté de la presse et lutte contre le terrorisme
L’accusation portée contre Wassim Nasr n’est pas un événement isolé, mais s’inscrit dans une dynamique plus large de criminalisation du travail journalistique dans les États du Sahel. Dans cette région, où l’insécurité est omniprésente et où la gestion de l’information est devenue un enjeu stratégique, la tension entre les impératifs de sécurité nationale et la protection de la liberté de la presse atteint des sommets.
Les journalistes indépendants, notamment ceux couvrant des sujets aussi sensibles que le jihadisme, sont souvent accusés de partialité ou de complicité. Cela renforce un climat de peur où la recherche de la vérité peut être assimilée à une trahison des intérêts de l’État. Ce climat répressif est exacerbant pour la société civile, qui se trouve de plus en plus privée d’accès à une information plurielle et indépendante.
Un appel à la solidarité internationale
Les organisations de défense de la liberté de la presse ont exprimé leurs inquiétudes face à cette situation. Reporters sans frontières (RSF) a notamment appelé les autorités des trois pays concernés à respecter les droits des journalistes et à garantir leur sécurité. La condamnation de Wassim Nasr par certains gouvernements saheliens pourrait avoir un effet dissuasif sur d’autres journalistes, les forçant à renoncer à couvrir les violences dans la région par crainte de représailles.
La situation appelle également à une réflexion plus large sur le rôle des journalistes dans la couverture des conflits. Wassim Nasr, qui s’est imposé comme un spécialiste des mouvements jihadistes, utilise des sources multiples, y compris au sein des groupes armés, pour fournir des analyses complètes et informées. Cependant, ce travail, indispensable à la compréhension de la complexité des conflits en cours, est désormais utilisé comme arme contre lui.
Conclusion
Le cas de Wassim Nasr symbolise les dangers que courent les journalistes dans des environnements de plus en plus répressifs, où le travail d’information est interprété comme une menace pour l’ordre établi. Dans un contexte où la lutte contre le terrorisme se superpose à des enjeux politiques de contrôle de l’information, la liberté de la presse au Sahel apparaît plus que jamais en danger. Les prochains développements de cette affaire seront déterminants pour l’avenir de l’information dans une région déchirée par la violence et où la vérité est devenue une ressource rare et contestée.
Saidicus Leberger
Pour Radio Tankonnon