Déclaration du 1er ministre relative à la riposte contre le COVID19. Mes points de satisfaction et de déception.
JEAN BONIN
Déclaration du 1er ministre relative à la riposte contre le COVID19. Mes points de satisfaction et de déception.
Je dois dire que globalement je suis satisfait des mesures arrêtées par le chef du Gouvernement ivoirien. Globalement mais pas totalement. Il y a donc des points d’insatisfaction. La plupart des points d’insatisfaction résultent de l’imprécision et du caractère évanescent de certaines mesures, toute chose qui ne plaident pas en faveur de leur lisibilité. Analysons.
1 – LES POINTS DE MI SATISFACTION
Le Pdt Affi N’guessan, lors de sa récente déclaration, proposait la mise en place d’un fonds INITIAL de 1000 milliards de FCFA. Il avait pris soin d’indiquer comment ces fonds devaient être mobilisés.
Le PM annonce un plan de riposte total de 1700 milliards de FCFA. C’est ambitieux. On ne peut que s’en féliciter. Malheureusement ce plan de riposte pèche par excès et par défaut.
Par excès car nulle part le PM ne dit comment, quand et où ces fonds seront mobilisés. C’est un fait rédhibitoire. Comment ce montant a été déterminé ? Impossible de le savoir. C’est d’autant plus nébuleux que le PM révèle dans sa déclaration que sur les 95 milliards 880 millions de FCFA que le Chef de l’Etat avait annoncé lors de son message à la nation, seuls sont actuellement disponibles ; 25 milliards de francs FCFA. Il y a donc une différence de 1 625 milliards à mobiliser. C’est un problème réel.
À ce sujet, voilà exactement, mot pour mot ce qu’a révélé le PM dans son allocution « le Gouvernement s’attèle à la mise en œuvre rapide de ce plan pour lequel il a été mis en place sur nos ressources propres, un fonds de 25 milliards de FCFA. Les discussions sont en cours avec les partenaires techniques et financiers pour mobiliser des ressources complémentaires ». On peut donc sur la foi de ces revalorisations affirmer que rien n’est acquis actuellement en dehors des 25 milliards disponibles.
Le plan de riposte d’un montant de 1700 milliards FCFA pèche enfin par défaut de prudence budgetaire qui commandait que le PM évoque plutôt un budget prévisionnel de riposte plutôt qu’un plan de riposte. La nuance est de taille. Elle est inhérente au fait que de fortes incertitudes pèsent sur la capacité de mobilisation totale des fonds nécessaires à ce plan de riposte.
L’incertitude est d’autant plus forte que les potentiels prêteurs multilatéraux et bilatéraux sont eux-mêmes sous tension en raison de la crise du COVID19 qui impact leurs propres capacités de prêts.
En ce qui concerne le personnel de santé, le PM nous informe que « le Président de la République a-t–il décidé de l’octroi d’une prime exceptionnelle à tous ces agents, sur la période de durée de la crise, en guise de reconnaissance de leurs efforts ». J’apprécie cette mesure. Cependant, elle aussi, comme les autres, souffrent de leur imprécision. Quel est le montant de la prime ? Quand sera-t-elle payée ? On en sait strictement rien.
Au titre des mesures sociales, le PM Gon nous apprend que « le Gouvernement entend :
• décaler, pour l’ensemble des abonnés, les dates limites de paiement des factures d’électricité et d’eau, d’avril à juillet 2020, et de mai à août 2020. A cet effet, des facilités de paiement seront proposées pour soulager les populations ». Affi N’Guessan avait souhaité ce report. Je ne peux donc qu’être satisfait de cette mesure. Par contre, là où je le suis moins c’est la mise en œuvre effective des facilités annoncées. Elles seront proposées quand ? Quelles seront-elles ?
Le PM a également annoncé que l’Etat « prendra en charge les factures d’électricité et d’eau, devant être payées en avril et en mai 2020, des couches défavorisées c’est-à-dire des ménages abonnés au tarif social d’électricité, et des ménages facturés uniquement dans la tranche sociale pour l’eau. Cela concerne plus d’un million de ménages soit environ 6 millions de nos concitoyens. J’approuve cette mesure sociale. Même si je pense qu’il aurait été approprié de la limiter à un volume d’eau et d’électricité consommé pour éviter les inévitables abus.
S’agissant des aspects fiscaux le PM a décidé de « reporter de trois mois le paiement des taxes forfaitaires pour les petits commerçants et artisans (notamment les maquis, les restaurants, les boites de nuit, les bars, les cinémas et les lieux de spectacles) ;
- différer pour une période de trois mois le paiement des impôts, taxes et versements assimilés dus à l’État ainsi que des charges sociales du fait des difficultés de trésorerie des entreprises ». Ces mesures sont exactement celles que le président Affi avait souhaité pour soutenir les entreprises. Je felicité le gouvernement de les avoir entériné.
2 – LES POINTS D’INSATISFACTION
Lors de son intervention le PM a fait un point sur L’état actuel d’avancement de la mise en œuvre du plan de riposte sanitaire. Là aussi, c’est un flou artistique qui transparaît, tant les motifs de satisfaction du PM sont annoncés sans le moindre chiffre ni la moindre information vérifiable. Analysons les point par point :
- « la capacité de prélèvement des cas suspects et d’analyse a été renforcée ». Quel était la situation antérieure et qu’est elle actuellement ? Aucune idée.
- « l’extension des sites de prise en charge des cas positifs est en cours, tant à Abidjan qu’à l’intérieur du pays » . Quel était le nombre de sites de prise en charge au début de la pandémie et combien sont-ils actuellement, tant à Abidjan qu’à l’intérieur du pays. Là aussi aucun chiffre ?
- « l’ensemble des commandes urgentes de matériel de protection a été passé ». De quelles commandes s’agit-il ?
- « le renforcement du système des soins est en cours ». De quoi s’agit-il exactement quand il parle de renforcement ? Là aussi pas de données chiffrées ni vérifiables.
- « les stocks de médicaments sont disponibles pour faire face aux besoins ». De quelles médicaments s’agit-il et en quelle quantité ? Ils sont disponibles où ? Aucune information.
Le PM annonce par ailleurs « la mise en place d’un fonds spécifique d’appui aux entreprises du secteur informel touchées par la crise pour un montant de 100 milliards de FCFA ». La plupart des mesures de soutien aux entreprises courent sur une période de 3 mois. Il est donc évident que 100 milliards de dotation pour le secteur informel qui représente plus de 70 % de l’activité économique est largement insuffisant. D’ailleurs, le PM ne dit pas non plus ce qu’il met dans « secteur informel ». Cela en rajoute bien évidemment au flou qui entoure les annonces du PM.
Le PM, Gon Coulibaly nous annonce de même, en ce qui concerne l’enseignement qu’il envisage « assurer une éducation à distance en commençant par les classes d’examens (CM2, Troisième et Terminale) par le biais de la télévision ». La 1ère question qui vient à l’esprit c’est celle de savoir pourquoi cette mesure ne s’applique pas à tout le système éducatif mais d’abord aux seules classes d’examen. Qu’est-ce qui justifie techniquement cette discrimination ? Pourquoi la télévision et pas l’internet dont la mise en œuvre est manifestement plus aisée ? Quand est-ce que ces mesures commenceront ? Motus et bouche cousue.
S’agissant du paiement des loyers le PM n’a pas été au bout de sa logique. Il s’est contenté « d’Inciter les propriétaires de logements à faire preuve de souplesse et à discuter avec leurs locataires ». C’est une annonce sans fondement et sans effet car elle n’est pas contraignante. Il aurait fallut décréter un moratoire de sorte que dans cette période aucun locataire, professionnel ou privé, ne soit expulsé en raison d’un non paiement de ses charges locatives. Comment les bars, maquis et autres boites de nuit paieront leur loyer alors qu’ils ne peuvent plus exercer et ne savent pas non plus si, quand et comment ils pourront, éventuellement, bénéficier des mesures compensatoires ?
De même, dans cette période d’incertitude dont pourrait profiter des employeurs véreux pour procéder au licenciements de certains de leurs employés pour cause de COVID19, il n’aurait pas été superfétatoire que, clairement, le PM « gel » durant cette période tout licenciement en raison de la pandémie ? C’est dommage. Tout comme il est dommage que le PM n’ait rien dit sur le télétravail ?
Enfin, pour terminer, le PM a dit ceci « j’appelle au renforcement de la solidarité nationale et internationale pour accompagner le Gouvernement dans la mise en œuvre des plans de riposte et de soutien économique adoptés ». M. le PM comment voulez-vous que la solidarité nationale se manifeste si vous n’organisez le cadre juridique et institutionnel dans lequel il devra avoir lieu ?
Au final, j’observe qu’il y a à boire et à manger dans la déclaration du PM qui contrairement à celle du Chef de l’Etat, le 23 mars dernier, m’a largement laissé sur ma faim. J’espère qu’il interviendra très rapidement pour rectifier le tire en rendant son discours plus lisible.
Jean Bonin
Juriste
Citoyen ivoirien.